mardi 27 janvier 2009

La madame

Pour les enfants qui souffrent de troubles de l'attachement sévères, la famille n'est pas nécessairement le milieu de vie le plus adéquat. Les demandes affectives d'une famille aimante confrontent directement ces enfants dans leurs manques, non seulement cet amour qu'on leur offre, ils ne peuvent pas le rendre, mais il les agresse et les fait réagir. Les familles s'épuisent et l'enfant est déménagé de milieu, parfois à répétition.

Quand j'étais famille d'accueil, dans les cas où toutes les ressources avaient échoué, il y avait la madame. Une femme célibataire dans la quarantaine, qui avait ses méthodes et imposait sa loi. Les intervenants ne discutaient pas sa façon de faire, parce qu'avec elle, c'était à prendre ou à laisser.

Je l'avais connue lors de nos rencontres de famille d'accueil. Une maîtresse femme, corpulente et excentrique à souhaits, souvent habillée en rouge et avec... son petit caniche dans les bras et un gros trousseau de clé à la main. Elle barrait tout, absolument tout quand elle sortait, y compris le frigo et les armoires! Chez elle, il y avait neuf jeunes entre douze et dix-sept ans, deux par chambres. Impeccables les chambres car dans cette maison régnait une discipline de fer et pourtant, les jeunes voulaient habiter là et étaient prêts à de grands efforts pour y rester!

Elle habitait une grande maison avec une piscine. Quand un jeune débarquait chez elle, elle mettait cartes sur table. Je ne t'aime pas parce que je ne te connais pas mais je te respecte. Je suis famille d'accueil parce que c'est mon travail. Ici, tout le monde travaille et c'est moi qui dirige. On est pas une démocratie (tu ne sais pas c'est quoi une démocratie?, ok, je te l'expliquerai après), je suis le boss et vous devez suivre mes règles. Sinon, tu t'en vas, bonhomme et moi j'accueillerai un autre jeune.

Il y avait des corvées, des récompenses méritées, une vie quand même réglée mais le vendredi soir, c'était le party. Danse, friandises, musique au boutte, on s'amusait ferme et toute la nuit si on voulait. Pas d'alcool et pas de drogue mais le party. Et elle participait la madame.

La semaine, tout était réglé au quart de tour. La madame ne faisait ni l'épicerie, ni le lavage, ni la cuisine, ni le ménage. Mon but, nous expliquait-elle dans les réunions de famille d'accueil, c'est de rendre ces jeunes-là autonomes. Ne rien faire à leur place. Les entraîner à la vie en appartement. Quand ils vont sortir de chez moi, ils vont savoir tout faire. Alors, on fonctionnait en équipes de travail et ça allait rondement.

Un jeune qui ne se pliait pas partait. Immédiatement. Les autres, voyant que la madame ne faisait pas de grands discours mais agissait, la respectaient. Il fallait étudier ou travailler si on avait plus de seize ans pour habiter chez elle, mais elle ne se mêlait pas de trop près de la vie scolaire. Si on lui demandait de l'aide, elle en donnait, sinon, elle gérait au plus pressé.

Des jeunes qui n'avaient jamais pu s'intégrer nulle part, elle en a récupéré. Je me rappelle de ses clés, de sa grosse voix, de son petit caniche mais surtout, surtout, de son rire, un grand rire communicatif, un rire de party. Ses fêtes du vendredi soir devaient valoir la peine!

25 commentaires:

Mamzell_McJ a dit...

touchant. Faut dire que je suis facile à toucher aujourd'hui peut-être même à couler aussi :-)

Anonyme a dit...

Il y a des pistes à explorer ici ... merci :) Reveuse

Josie a dit...

Y'a de ces gens qui changent des vies. Merci de ce partage. Je crois que c'est une excellente méthode de "réhabilitation". Elle devait y trouver son compte aussi. Ces jeunes ont tellement à donner!

Anonyme a dit...

Mais elle mérite une médaille cette dame bondance !

Magenta a dit...

Bravo à cette femme...
Son rire, la façon de se vêtir et sa manière d'être elle-même dénotent une personne entière et sans compromis avec laquelle les jeunes savaient exactement ce qu'ils avaient à faire... Bravo!

Solange a dit...

Il y a des gens comme ça qui restent inconus, et qui pourtant font beaucoup de bien.

Pur bonheur a dit...

Ma mère était à peu près comme ça. Nous avions deux filles chez nous en famille d'accueil et comme vous le mentionnez, elle attendait au samedi pour le ménage, que nous nous séparions en 3, les deux autres filles et moi , et ma foi, nous en avions pour la journée complète!
Et lorsque Carole a piquer sa crise, le premier soir de son arrivée ma mère n'y a pas été de main morte. Après que Carole eut crié 'JE SAIS QUE VOUS NE M'AIMEZ PAS' ma mère a répliqué en lui disant: 'D'où tu sors ça? Change d'air et viens souper. Et appelle moi matante! '
C'était ça, la psychologie des parents dans les années '70 !

Une femme libre a dit...

Touchant, pas certaine, Juliette. La madame menait sa famille d'accueil comme une business et c'est pour ça que ça marchait. Les jeunes ne se sentaient pas obligés de l'aimer, mais obligés de bien se conduire. Pour des jeunes en trouble de l'attachement, un milieu pas menaçant.

Explorez, ma chère Rêveuse, explorez! ;o)

Non, les jeunes en trouble de l'attachement ont peu à donner, Josie. Ils prennent, prennent, prennent encore et pressent les ressources comme des citrons. Ils peuvent en épuiser plus d'un! C'est pour ça que les intervenants doivent bien prendre soin d'eux-mêmes, s'épauler et avoir d'autres sources de gratification. Et un grand sens de l'humour!

Une médaille de bravoure, d'ingéniosité et de force de caractère, absolument, Édouard!

"les jeunes savaient exactement ce qu'ils avaient à faire", voilà, Magenta, pas d'ambiguïté, peu de choix, un cadre précis et structuré, pas de demandes affectives, les jeunes se sentaient fermement encadrés chez elle et ça les sécurisait.

Du monde comme la madame, Solange, c'est une ressource inestimable pour les centres jeunesse et ils le savaient bien et en prenaient soin!

Votre mère appliquait la loi du gros bon sens et elle est encore valable aujourd'hui, Pur Bonheur!

Anonyme a dit...

Woufff... A la première lecture, je ne l'ai pas aimé cette madame.
Impossible d'être aussi sévère et si sèche avec des jeunes sans leur montrer ne serait-ce qu'un peu d'affection.
Très dur qu'elle leur dise franco et sans détour, je ne t'aime pas ou encore famille d'accueil = travail.

J'ai relu ce texte, j'ai mieux compris, c'est triste ces jeunes que les marques d'affection et d'amour agressent mais c'est beau que cette madame soit là pour eux et leur dise les respecter et vouloir les aider pour leur vie future.

Alors après tout, même si ses méthodes peuvent paraître dures, elles semblent efficaces.

Et si elle a un rire si communicatif, elle ne peut qu'avoir un grand et bon coeur et elle devait le faire éclater au grand jour lors des parties du vendredi.

Une femme libre a dit...

Cette dame accueille des enfants en trouble grave de l'attachement, Mijo. Ce qui fonctionne avec des jeunes normaux, soit l'ouverture, la chaleur, la confiance et l'amour ouvert et déclaré est justement ce qui ne marche pas du tout avec ces jeunes! Le trouble de l'attachement est un mal permanent, qui ne se raccommode pas à force d'amour! C'est bien triste mais c'est la réalité. Avec ce trouble vient le manque de contrôle interne et souvent l'absence de sens moral. Ils ont un énorme besoin d'encadrement, car ils ne savent pas du tout s'encadrer eux-mêmes. Si on leur laisse le choix, on peut compter sur eux pour faire le mauvais choix. Dans un carcan bien serré, ils peuvent enfin respirer et presque s'épanouir. Ce sont des enfants experts en manipulation, capables d'écouter parler l'adulte avec des yeux attentifs et des hochements de tête d'acquiescement. Pour faire le contraire, exactement le contraire de ce à quoi ils viennent en apparence d'acquiescer. Les discours n'ont aucune prise sur eux. Ce charme et cette fausse gentillessse ils l'exercent envers des adultes qui ne sont pas leur parent, parce qu'avec les gens "proches", là, ils sont odieux, cruels et savent exactement où et comment attaquer pour les tenir à distance. Je parle en connaissance de cause, car j'ai adopté il y a quinze ans une petite fille de quatre ans et demi qui souffrait de ce terrible mal. On n'en parlait pas à l'époque et je me disais et on me disait qu'à force d'amour, elle irait mieux. Erreur! Grossière erreur! Ce qui marche c'est l'encadrement, l'encadrement et encore l'encadrement. L'espoir, c'est que le jeune en vienne à intérioriser des comportements adéquats.

Et je ne vous ai pas tout dit. La madame dormait les portes de chambre cadenassées, avec un couteau sous l'oreiller et son cellulaire à portée de main.

Anonyme a dit...

Bonjour FemmeLibre,

C'est presqu'un stéréotype cette madame-là. Pas de grandes théories, mais des principes, des règles et de la justice...et çà marche!

Une femme libre a dit...

En effet, Pierre!

Anonyme a dit...

C'est super d'aider des jeunes comme ça, puis c'est sur qu'ils en sortent plus responsables et matures.

Avec l'histoire de vol que vous nous avez raconté, je comprends pourquoi elle barre ses armoires. Puis c'est cohérent avec le reste de sa personne.

Une femme libre a dit...

Ils sortaient de chez elle avec les habiletés nécessaires pour tenir une maison, Mayieve, ce qui n'est pas donné à tout le monde. Ce qu'ils en faisaient ensuite de leur vie, ça leur appartenait et la madame ne prenait pas le poids du monde sur ses épaules. Elle respirait la bonne santé mentale, la madame.

Pour ce qui est de tout mettre sous clé, elle s'évitait bien des problèmes comme ça. Bien difficile de savoir qui a pris quoi avec des jeunes qui mentent avec une grande sincérité et les jeux de pouvoir inévitables entre eux en plus. Rien d'accessible donc tout à sa place. Simple.

Anonyme a dit...

Décidément, il y a de ces gens qui ont des dons !

Anonyme a dit...

Une chance que de telles personnes existent. Sans elles, d'autres ne pourraient le faire convenablement.

Merci de ce partage!

Yogannie a dit...

On dit qu'il n'y a pas de hasard...

Cette dame-là était là pour eux au bon moment !

Bravo !

Anonyme a dit...

géniale cette madame - quel cœur, quelle générosité...
Inspirante.

Une femme libre a dit...

Cricri, plus que des dons, les personnes très occupées et qui aident concrètement la société sont souvent fort heureuses dans la vie. Elles savent pourquoi elles se lèvent le matin!

Bienvenue dans mon blogue, L'Adulescente! Vous reviendrez!

Yogannie qui fait du yoga! Bienvenue sur mon blogue. Je vais m'y remettre au yoga, ça me manque.

Inspirante en effet, Des Îles. J'ai bien besoin d'inspiration ces temps-ci alors que je me cherche...

herbert a dit...

Bonjour, Femme libre.

3 " La Madame" m'impressionne beaucoup.
Tu écris avec conviction et tu approuves sans restriction.
Alors, je m'incline.
Et je respecte ton sentiment.
Mais quelque part, je suis bousculé.
Mais tu n'as pas dit "La grande dame". Aurais-tu pu le dire ?
Je vais te quitter en pleine réflexion.
Bonne fin de journée et merci pour ce partage.
Je t'embrasse.

Une femme libre a dit...

Bien sûr que j'aurais pu écrire la grande dame, Herbert, mais jamais je n'aurais osé. Car voyez-vous, Grande Dame existe déjà, elle est dans mes favoris et j'adore la lire! ;o)

unautreprof a dit...

La solidité de cette dame devait être hyper rassurante pour ces jeunes qui avaient connu autre chose.

Anonyme a dit...
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Nanou La Terre a dit...

Bonjour Femme Libre,

quel personnage magnifique que cette dame! Çà m'a fait réfléchir sur la réalité de mon Fafouin. Je sais qu'il a un grand besoin d'encadrement et d'amour mais ne désire pas le mien. Calvaire et déchirement perpétuel pour une maman.

Une femme libre a dit...

En effet, Un autre prof, solide comme le roc! Il est préférable de ne pas pleurer devant des jeunes qui ont des troubles de l'attachement. Impossible pour eux d'éprouver de la compassion et ils vous les feront chèrement payer ces larmes qu'ils associent à la lâcheté et à la faiblesse.

Il faut à la fois lâcher-prise et rester présente, Nanou. Bel exercice d'équilibre pour le parent! ;o)