vendredi 22 janvier 2010

Le Chêne et le Roseau

Le Chêne un jour dit au Roseau:
"Vous avez bien sujet d'accuser la Nature;
Un Roitelet pour vous est un pesant fardeau.
Le moindre vent qui d'aventure
Fait rider la face de l'eau,
Vous oblige à baisser la tête
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,
Brave l'effort de la tempête.
Tout vous est Aguilon, tout me semble Zéphyr.
Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,
Vous n'auriez pas tant à souffrir
Je vous défendrais de l'orage;
Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des Royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.
- Votre compassion, lui répondit l'Arbuste,
part d'un bon naturel; mais quittez ce souci.
Les vents me sont moins qu'à vous redoutables.
Je plie et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos;
Mais attendons la fin. " Comme il disait ces mots,
Du bout de l'horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le Nord eût porté jusque-là dans ses flancs.
L'Arbre tient bon; le Roseau plie.
Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu'il déracine
Celui de qui la tête au Ciel était voisine
Et dont les pieds touchaient à l'Empire des Morts.

Jean de la Fontaine

10 commentaires:

Gen a dit...

lol! Je vais pouvoir sortir sa source à mon prof de méditation ;p Merci!

Pierre F. a dit...

À télé-Québec, cette semaine, j'écoutais Dany Laferrière commenter la crise a Haiti. Il disait avoir été particulièrement frappé par le fait que les fleurs n'avaient pas été affectées par le tremblement de terre. Alors que les immeubles s'effondraient, celles-ci sont restées intactes.

Dans un autre ordre d'idée, j'ai un ami Algérien, Kabyle comme il aime le dire. Il me disait: "Un Kabyle ne plie pas, il casse!". J'ai trouvé intéressante ce parallèle avec le chêne et le roseau. C'est un peu comme si pour son peuple, il était plus honorable de ne jamais plier, quitte à casser.

Une femme libre a dit...

@Gen, La Fontaine aimait bien faire la leçon aux vaniteux, lire aussi "La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf". J'étudiais chez les soeurs et les fables, on les apprenait par coeur et on les récitait en classe. J'adorais ça et je m'en rappelle encore parfaitement aujourd'hui alors que j'ai oublié tant d'autres choses...

Pierre F., c'est bien que je relise mes fables, il y a de beaux enseignements là-dedans! ;o) C'est joli l'histoire des fleurs, dans la dévastation, il y a encore de la beauté.

Faut plier, faut plier. Je viens d'appeler ma fille, celle qui a un bébé. On s'était encore chicanées et je n'avais pas de nouvelles depuis une semaine et je me suis dit que ça faisait et que c'était à la moins bébé des deux
à appeler l'autre, héhé!

Solange a dit...

Et bien avec tout ça vous êtes en bonne voie.

unautreprof a dit...

Il faut bien un Dany Laferrière pour faire voir la beauté dans ce drame.
Quel homme!

Mamzell_McJ a dit...

c'est joli. Je ne la connaissais pas cette fable

Une femme libre a dit...

Ouais, Solange... pas sûre, pas sûre... ;o)

C'est un poète,Dany Laferrière, je vois beaucoup plus la poésie que le roman dans ses oeuvres, Unautreprof.

Je la sais par coeur, je vous la réciterai devant un café, Juliette. (tiens, j'ai comme l'impression que je viens de reculer encore un peu la date du café, pouah!)

Josie a dit...

Oh mon dieu que ça fait longtemps que je ne l'avais pas entendu!

Madame Le Roseau, vous nous en montrez plein les dents aujourd'hui!

:)

Unknown a dit...

Se plier face aux évènements pour qu'ils ne nous atteignent pas de plein fouet, mais que l'on puisse se redresser la tête haute, voilà ce que ça m'inspire. Très bonne idée de nous rappeler ce texte !

Une femme libre a dit...

Héhé Josie, semblerait que je ne sois pas assez Roseau et un peu trop Chêne, je travaille là-dessus!

Oui, la souplesse est une belle qualité, Monique. Je suis pourtant très souple physiquement à cause du yoga.... ;o) Cette fable m'a fait penser à la résistance extraordinaire des Haïtiens face à l'épreuve.