lundi 23 novembre 2015

Ma fille qui est tellement plus que sa maladie mentale

Mon ainée a été adoptée à quatre ans et trois mois. Meurtrie. 

Suivi psychatrique à cinq ans à Douglas. Troubles de l'adaptation. 

Pensionnat à St-Donat à neuf ans. Les choses semblent se replacer. 

Retour au domicile à 12 ans. École privée. Mise à la porte de l'école privée. Polyvalente. Délinquance. Fugues, prostitution. Entrée au centre d'accueil. 

Quatorze ans, bref retour à la maison pour une thérapie intensive individuelle, de groupe et familiale. Toujours au Douglas. Un programme spécial pour les jeunes qui présentent des symptômes de bipolarité sans qu'on puisse alors vraiment nommer la maladie par son nom. À cette époque, on ne parle pas de bipolarité avant l'âge adulte. Je pense que ça a changé. 

Au bout de quelques mois, je suis convoquée par son psychologue. Il me demande de la retourner en centre d'accueil car elle se met en danger. Prostitution. Je m'en doutais bien mais j'avais un immense espoir dans ce programme. Retour au centre d'accueil. 

Je suis suivie par une excellente psychologue spécialiste de l'adoption et des troubles d'attachement qui me conseille fortement de ne plus la reprendre à la maison, ce qui ne veut pas dire du tout l'abandonner. Cette enfant refuse les figures parentales, soyons "autre chose", quelqu'un de présent, de soutenant, mais pas dans le même domicile. Je visite donc, je joue aux cartes avec elle, je l'écoute quand elle veut parler (rare) et je continue à voir ma psychologue pour me soutenir. 

Évidemment, dans un milieu encadrant et encadré sans demande émotive, elle fonctionne très bien et arrive le moment que ma psychologue et moi attendions: on veut me la retourner. Et c'est là que j'ai dû mettre mes culottes et le dire clairement devant tous que non, ma fille ne vivrait plus avec nous, jamais. Que je serais toujours là pour elle mais que pour son bien à elle, pour celui de sa fratrie et pour le mien, il n'était pas question qu'elle revienne, il fallait orienter le plan de traitement autrement et si pour qu'elle ait des soins, il me fallait signer des papiers d'abandon, je le ferais immédiatement. Coup de théâtre!

Il faut comprendre que les plans d'intervention visent dans la majorité des cas, le retour familial. Mis au pied du mur, les éducateurs et la travailleuse sociale ont donc dû travailler autrement. Ce fût profiteur pour tous, je pense. En fait, les visites à ma fille sont devenues plus agréables, plus détendues. Elle venait en visite à la maison aussi et ça se passait plutôt bien. 

Bon, une fois, on m'appelle parce qu'elle n'était pas rentrée au centre après une visite. Elle avait rencontré un gars au dépanneur en face du centre et ils étaient allés au motel pour y passer la nuit! Impulsivité. Ce n'est pas moi qui ai géré ce type de problèmes trop grand pour moi mais bien les professionnels du centre d'accueil. 

On passe du centre d'accueil qui ressemble à une prison à une maison d'accueil plus ouverte quand elle a seize ans et à dix-sept ans, c'est l'appartement supervisé. Je l'équipe au complet. Elle voulait des accessoires rouges, poubelle rouge, ustensiles rouges et nappe rouge. On magasine dans le plaisir. Quelques mois plus tard, elle sera mise à la porte pour non respect des règlements. Je l'autorise à aller vivre chez son chum et j'attends avec impatience ses dix-huit ans. 

Ils arrivent et je la perds un peu de vue. 

Ensuite, elle est déclarée officiellement bipolaire. J'ai de vagues souvenirs de ça. Elle fait des crises terribles et son chum m'appelle pour que je la calme. Elle a besoin d'argent pour un projet avec son chum. Ils veulent ouvrir un restaurant. J'en parle à mon frère qui s'y connaît en finances et il me dit qu'elle devrait  commencer par travailler dans un restaurant, tout à coup elle n'aimerait pas ça? Je lui en parle et lui dis que je l'aiderai financièrement si elle travaille six mois dans un restaurant. Je n'entends plus du tout parler du projet. 

Elle ne travaille pas et habite une cave déprimante. Dans ce temps-là, elle me laissait visiter ses logements. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Quand je la visite, elle est toujours endormie. Je la pense en grosse dépression (et c'est peut-être bien le cas!) et je l'incite à venir prendre une marche avec moi. 

Dans les faits, si elle était si fatiguée le jour c'est qu'elle avait passé la nuit à travailler dans des salons érotiques. Je l'ai appris bien plus tard, par son chum actuel. 

Avec l'ancien chum, elle a fait des psychoses mais le souvenir est flou. 

Avec le chum actuel, là, elle fait de grosses psychoses et est hospitalisée. On parle toujours de troubles bipolaires. Elle ne le dit pas trop ouvertement qu'elle entend des voix mais maintenant on sait qu'elle en entend non-stop depuis de très nombreuses années, sept ou huit ou neuf. Le chum actuel, elle le rencontre dans son métier de masseuse érotique. Il est chauffeur pour les danseuses et masseuses. C'est relié à la pègre tous ces trucs. Il a quitté le milieu maintenant. 

Il y a deux ans, à la suite d'une autre psychose et alors que l'hôpital veut la garder contre sa volonté et va en cour pour le demander, le diagnostic de schizophrénie est écrit noir sur blanc. Je n'en ai jamais entendu parler et je suis surprise quand la juge dit à ma belle enfant: "Je comprends que vous ne vouliez pas rester hospitalisée mais avec votre diagnostic de schizophrénie, je trouve préférable que vous soyez soignée au moins quinze jours. Je coupe la poire en deux, l'hôpital demande à vous garder trente jours et vous voulez sortir maintenant, on s'entend pour quinze jours et si jamais vos médecins trouvent que vous allez mieux, vous pourrez sortir avant."

C'était donc la première fois que j'entendais ce mot de schizophrénie. 

On s'y fait et c'est moins épeurant que je ne l'avais cru. La personne est tellement plus que sa maladie et ma fille est adorable et elle fait tout ce qu'elle peut pour s'aider et moi aussi, j'ai envie de faire tout ce que je peux pour l'aider. 

Il y a un mois, elle a encore fait une tentative de suicide. Non annoncée. Tout le monde dont son chum, sa psy et moi, trouvaient qu'elle allait donc bien! Mais elle n'allait pas si bien. Les voix permanentes et agressives, elle en a sa claque! 

Alors, là, elle va prendre les médicaments de la dernière chance, quand tout a été essayé. Le clozapine. Il n'est prescrit que quand tous les autres ont échoué. Son taux d'efficacité est supérieur aux autres antipsychotiques mais c'est un médicament qui peut aussi tuer le patient. Il attaque le coeur, peut causer des convulsions, détruit les globules blancs. Il faut donc judicieusement évaluer les risques pour la santé par rapport aux avantages sur le contrôle de la maladie. Ma fille doit donc aller à l'hôpital passer une panoplie de tests toutes les semaines! C'est beaucoup. Le traitement a commencé jeudi passé et je l'ai accompagnée et je l'accompagne ce jeudi-ci aussi. Pour l'encourager. Elle se stationne chez moi et on marche/court pour s'y rendre. Elle va avoir besoin de faire beaucoup d'exercice ma fille, ma toute mince fille. La prise de poids associée à ce médicament est en moyenne de cinquante livres!!! 

16 commentaires:

S@hée a dit...

C'est terrible ce médicament... finalement, vous aviez le choix entre deux mauvaises options.
Je lui souhaite que ça l'aide. Les voix, c'est tellement dur... (je ne parle pas en connaissance de cause personnelle).

Solange a dit...

Quelle terrible maladie, je lui souhaite que cela soit bénéfique pour elle.

Une femme libre a dit...

Sahée,
Je l'ai vue aujourd'hui et elle semblait en forme. C'est vrai que la dose pour débuter est vraiment minime mais quand même, c'est pour qu'elle se sente éventuellement mieux sans voix. On vit ça un jour à la fois, mais n'est-ce pas la meilleure façon de vivre sa vie de toutes façons?

Une femme libre a dit...

Solange,

Et si ça l'aidait vraiment? On fait le pari que ce médicament vaille la peine.

Zoreilles a dit...

Le choix? Mais quel choix?

Comme Solange l'a dit aussi, je souhaite qu'elle aille mieux. Si elle prenait un peu de poids (l'approche de réduction des méfaits est la plus souhaitable) mais qu'elle se sente mieux au quotidien, ce serait un moindre mal.

Tu l'accompagnes à ses examens du jeudi et dans la vie en général depuis toujours, ça aide beaucoup j'imagine.

Mais toi, Une femme libre, quand t'as besoin, quand t'as mal, quand t'as peur, qui c'est qui te supporte?

Une femme libre a dit...

J'ai pas si souvent mal pour dire vrai, je suis chanceuse. Globalement, je suis chanceuse dans la vie, mes enfants ont des problèmes mais moi, non. Je suis en excellente santé, je pourrais faire ce que je veux si je ne mettais pas ma vie sur pause pour ma plus jeune fille mais j'ai choisi de le faire momentanément pendant qu'elle fait son cours de préposée aux personnes en perte d'autonomie. J'ai espoir qu'elle réussisse avec ça à se débrouiller (avec aide!) dans la vie. Si ça ne marche pas, j'ai prévu le coup aussi et là, il faudra trouver une autre solution. Mais on commence par le positif et l'espoir mesuré, on verra bien. Elle les passe ses cours pour l'instant, ce qui est déjà un miracle!

PassionArts et plus... a dit...

Tout un cheminement de vie pour cet enfant... je souhaite vraiment que ce médicament changera sa vie et surtout de ne plus entendre ces voix et comme tu le dis si bien, un jour à la fois! Bon courage à vous deux !

Michèle a dit...

Je trouve ça très intense comme épreuves. Je viens de passer 1h à m'engueuler avec mon 17 ans, et je suis toute bouleversée. Il n'a aucun problème de santé. Il est parti en maudit en me disant "A lundi", et il est rentré 1h plus tard pour aller se coucher.

Je suppose qu'on choisit sa vie. Qu'on prend ce qu'on est capable de prendre. Et tu as des épaules solides, Femme Libre.

Une femme libre a dit...

PassionArts,

Il faut lâcher prise. On ne le sait pas ce qui arrivera avec ce médicament. C'est du un jour à la fois. Elle est tout de même chanceuse d'être en couple et un couple qui marche mieux que bien des couples. Ils sont ensemble tout le temps, livrent les journaux ensemble la nuit. Elle me dit que ça va bien avec lui et je la crois.

Une femme libre a dit...

Michèle,
Un jeune de dix-sept ans en révolte, c'est loin d'être facile. Moi, mon fils plus-que-parfait à commencé ça à quinze ans et j'ai été très heureuse de l'installer (gratuitement en plus!) dans un des logements que je louais quand ses occupants n'ont pas renouvelé leur bail. À 17 ans. Il venait encore manger chez nous à cet âge-là mais juste le fait de ne plus vivre ensemble a assaini l'atmosphère.

mijo a dit...

Oh bon sang, les effets indésirables de ce médicament sont... Non, je ne finis pas ma phrase car je préfère ta phrase "faire le pari que ce médicament en vaille la peine".

Pur bonheur a dit...

Mon frère, qui est devenu schizophrène à 21 ans, a eu un retour à la réalité et cessé d'entendre des voix grâce à l'Aldol. Il a vécu plusieurs épisodes d'arrêts et de reprises au cours de sa vie.
Je ne sais pas si le médicament que ta fille prend vient de la même souche que le médicament de mon frère, mais il a eu des effets spectaculaires sur lui. Les voix ont cessé une fois pour toute.
Sauf, comme tu le mentionnes, il a pris beaucoup de poids, n'étant plus stressé et sédentaire. Et ça s'est terminé par un infarctus à 37 ans. Lorsque j'ai parlé au Coroner, j'ai mentionné que mon frère et deux de ses co-locataires à la Maison St-Dominique étaient décédés dans la même année, de la même façon. Il y a eu enquête, mais je n'ai pas connu le résultat.

Tu mentionnes que son médicament peut-être dur pour le coeur. Je pense que c'est vrai... Il n'y a pas de médicaments parfaits, il y a toujours des effets secondaires.
Mais je peux te dire que le temps où il se soignait adéquatement, j'ai retrouvé mon frère...

Une femme libre a dit...

Mijo,

Il faut ce qu'il faut. Grosse maladie, gros médicaments. Jusqu'ici, elle semble très bien, mais elle est à la dose la plus minimale encore. On monte la montagne ensemble aujourd'hui. Sa psychiatre est jeune et dynamique et vraiment une belle personne qui en prend bien soin. Je suis positive et puis dans le présent et le présent est bon.

Une femme libre a dit...

Pur Bonheur,

Je suis allée lire sur l'Aldol qui a un bon paquet d'effets secondaires lui aussi.

Elle va passer des électrocardiogrammes régulièrement et comme elle est vue toutes les semaines et testée pour les globules blancs et plein d'autres trucs, ils seront vigilants pour détecter si ce truc menace sa vie.

Prendre du poids serait dramatique pour elle. C'est une vraiment très jolie fille, toujours bien mise. Elle n'a jamais été grosse et pourtant, elle en prend déjà des médicaments antipsychotiques. Un jour à la fois.

Pur bonheur a dit...

Si elle prend ses médicaments, je suis certaine qu'elle ira mieux dans un avenir rapproché. C'est positif qu'elle accepte de les prendre. Tu vas bientôt voir un changement!

Une femme libre a dit...

Pur Bonheur,
Elle prend déjà des antipsychotiques efficaces. Elle a "toute sa tête". Mais les médicaments n'ont pas enlevé les voix et ses voix à elle sont méchantes, nombreuses et constantes. Il n'y a que quand elle dort qu'elle ne les entend pas et en plus, elle a de la misère à dormir car les voix ne la laissent pas tranquille. C'est à cause des voix qu'elle va prendre ce nouvel antipsychotique. Mais il n'est pas certain non plus qu'il les fasse disparaître.

Depuis un an ou deux, ma fille accepte sa maladie (relativement, elle aimerait bien s'en débarrasser, on s'entend!) et en parle ouvertement. Ce n'était pas le cas avant.