Les yeux

Il y a cinq ans, j'ai eu des saignements intra-rétiniens dans un oeil. Des vaissseaux qui ont éclaté. Dû à la myopie, pas à l'âge. J'en ai déjà parlé plusieurs fois. Ça m'a laissé un oeil qui ne voit plus comme avant, même avec des lunettes. Et l'autre risque le même sort. Alors, je vis le moment présent, évidemment. Mais derrière toutes mes belles philosophies de vie, il y a une petite inquiétude. Ou grande, dépendant des jours et de mon état d'esprit. Parce que ce n'est pas que mon imagination ce truc. Chaque année, j'en reperds et le grand spécialiste ne peut rien faire. C'est comme ça. 

Hier, pendant un long uttanasana, j'ai une douleur à l'oeil. Mon oeil. Celui qui a déjà saigné. Je regarde mes doigts en cachant l'autre oeil. Je vois ma main mais très voilée, plus voilée que d'habitude. Je décide de me coucher et j'y resterai pour le reste du cours (on arrivait à la fin). La prof s'informe. Je lui dis que j'ai mal à l'oeil mais que ça va. Et la peur d'une autre hémorragie rétienne s'immisce dans mon cerveau. Plus le saignement est stoppé rapidement avec une injection d'Avastin, moins il y a de séquelles. Je quitte en même temps que tout le monde, je me sens fragilisée, me semble que je vois vraiment moins bien, mais est-ce la réalité ou mon imagination? Je ne vois déjà pas bien du tout de cet oeil en temps ordinaire. 

Arrivée à la maison, mes deux filles sont là, les deux qui ont des problèmes. L'une des deux n'a pas fait sa prise de sang parce qu'elle n'aime pas l'infirmier. Misère! Du coup, je ne pense plus à mes problèmes à moi et j'assaie d'organiser les choses. On ira demain. On annule la montée de la montagne qui est remplacée par une visite à l'hôpital. Et puis l'inquiétude pour mon oeil revient. 

Il y a trois possibilités: ne rien faire, aller à l'urgence ou bien essayer de voir mon optométriste. 

Je décide de faire quelque chose. 

L'urgence, c'est huit heures d'attente dans des conditions déplorables et déprimantes. 

J'essaie l'optométriste. Il est midi quarante. On me dit que c'est complet mais quand j'explique mon histoire, ça devient une urgence et il me verra entre deux patients. Au cas où mes lectrices ne le sauraient pas, ce genre de consultation qui est médicale et n'a pas pour but la prescription de lunettes est totalement gratuite et payée avec la carte d'assurance-maladie. Pour les enfants, c'est toujours gratuit jusqu'à dix-huit ans un examen de la vue. C'est fou le nombre de gens qui ne font jamais examiner la vue de leur enfant. 

Bon, alors il me voit à treize heures trente. Beaucoup de tests. Comme il ne trouve rien, il décide de me mettre les gouttes pour un examen plus approfondi du fond de l'oeil. Entre des patients. Finalement, je passe pas mal tout l'après-midi là. Mais c'est un bel environnement, un joli magasin de lunettes bien clair et avec de la bonne musique. J'essaie des lunettes et je me sens déjà bien mieux, rassurée d'être prise en mains. 

Il y a beaucoup de corps flottants, la vision a baissé d'un quart de point depuis juin dans cet oeil, mais ce n'est pas une baisse assez significative pour s'alarmer. Pas de saignements. Ouf! C'est ça que je voulais entendre, pas de saignements! Je me sens rassurée et je rentre à la maison. Merci doc! Un grand merci. Il s'interroge cependant sur les asanas la tête en bas. Est-ce approprié avec la fragilité de mes yeux? Il n'est certain de rien, ce n'est qu'une hypothèse. 

Je cherche là-dessus dans l'internet. Dans les cas de glaucome, toute pression supplémentaire associée aux inversions est déclarée dangereuse. Dans mon cas à moi, je ne trouve rien. Des textes disent même que les inversions sont bonnes pour les yeux. 

Je pense que je vais tenir les inversions moins longtemps dorénavant, sans me les interdire totalement. Et je vais oublier la position sur la tête.