Ma fille est en train de couler son stage. Avant-hier, elle pleurait tellement qu'on a parlé dans mon lit jusqu'à quatre heures du matin et qu'elle s'y est endormie. Hier, ça n'allait pas le diable mieux non plus.
On lui a donné de gros cas, surtout celui de madame Michaud qui souffre d'alzeimer alors que sa famille refuse qu'elle se retrouve à l'étage qui leur est consacré. Elle est donc intégrée aux "réguliers", ceux qui descendent ou pas pour le repas mais qui ont un temps réduit d'aide par le personnel. On s'attend aussi à ce qu'elle mange seule, ce qu'elle ne fait pas selon ma fille. Soit elle joue avec sa nourriture, soit elle n'y touche pas. Personne, sauf ma fille, ne semble s'en préoccuper. Elle est maigre à faire peur et d'ailleurs ma fille a peur de la blesser et donc la touche avec la plus grande délicatesse. Or, madame Michaud refuse de se lever pour qu'on la change ou la déplace.
Que font les autres, Vingt et un an?
Ils la bardassent, la lèvent, l'assoient et la couchent de force. Sadique l'accroche à sa marchette, la soulève par un bras et lui pousse dans le dos.
C'est maintenant ma fille qui s'en occupe de madame Michaud. Et ça lui prend... des heures! Comme elle a cinq autres patients à déplacer, laver, changer et coucher le soir, les autres attendent. Il y a eu des plaintes, me dit ma fille en larmes.
Elle ne comprend pas le temps, ma fille. Ses problèmes d'apprentissage ressortent. Elle est devenue "le cas", celle qui n'arrive pas à s'occuper de ses bénéficiaires.
Avant-hier, quand elle en a finalement fini de coucher madame Michaud, sans avoir réussi à la laver, vu ses cris et sa résistance, les autres préposés s'étaient occupé de "ses" autres bénéficiaires. Évidemment, ils se sont plaint.
L'incompétente, maintenant, c'est ma fille. Elle aura un mauvais rapport de stage. Pas capable de faire la job.
Elle souffre. Je souffre avec elle!
Avant-hier, je lui ai conseillé de parler à "quelqu'un" (il n'y a personne d'attitré aux stagiaires dans cette résidence mal organisée, ça change tous les jours!) pour demander de ne plus s'occuper de madame Michaud. Dire que c'est un cas trop lourd pour elle, qu'elle n'a pas assez d'expérience etc.
On lui a dit qu'elle devait s'en occuper. Que quand on travaille en résidence, on ne choisit pas ses bénéficiaires.
Mais une autre préposée est allée avec elle. Ça a l'air que tout le monde se demande ce qu'elle peut bien faire pendant une heure et demie dans la chambre alors que le temps à consacrer à chaque bénéficiaire est de maximum quinze minutes.
L'autre préposée a réussi à s'occuper de madame Michaud, lavée, changée, pyjama mis et au lit en quinze minutes. Alors ma fille a l'air encore plus incompétente.
Ce qui n'aide vraiment pas, c'est également que ma très sociable fille, qui se fait facilement des amis partout avec son beau sourire, n'a aucun allié dans cette résidence. Elle me dira qu'elle n'a rien en commun avec les employés qui travaillent là.
J'ai proposé et reproposé à ma fille d'appeler sa responsable de stage à son école. Elle ne veut vraiment pas.
Alors, je suis là pour ma petite, je l'aime, je l'entoure et je vais continuer à le faire qu'elle réussisse son stage ou pas. Mais je lâche prise (un peu!). Je ne vais pas outremanger, non, madame, plus question que je me fasse du mal à moi parce que ma fille va mal.
Je ne peux pas vivre sa vie à sa place. Possible que ses problèmes d'apprentissage soient trop grands pour qu'elle puisse occuper un emploi. On s'adaptera.
Hier, j'ai vu mon notaire pour faire mon testament. Cette enfant-là, c'est son frère qui va gérer sa part d'héritage. Il est d'accord et ma fille est au courant.
Une "anecdote": une des bénéficaires de ma fille n'a plus de savon. Or, elle est aux couches .Ma fille change une couche avec de la merde et elle veut évidemment laver correctement la dame. Elle finit par demander à l'infirmière (qui l'accusera de la déranger pour rien) et reçoit comme réponse que c'est la famille qui doit apporter du savon! C'est pas fourni! Ma fille finira par gratter un peu de fond de savon dans le bas de l'armoire pour laver tant bien que mal la dame. Son fils va lui en apporter du savon, dira la dame, mais là, il ne peut pas, il est bien occupé, il travaille beaucoup.
21 commentaires:
Peut-être que je suis naïve, mais je ne vois pas son problème avec les bénéficiaires, relié à ses problèmes d'apprentissage. Je le vois plutôt qu'elle est douce, prévenante et veut tellement bien traiter les bénéficiaires qu'elle prend plus de temps à cause de ça. Elle les aime, ne veut pas leur faire de mal, comme sadique (ou les autres). Elle ne veut pas les brusquer. Je la trouve très prévenante moi, mais je sais que ça ne l'aide pas en ce moment pour son stage.
Elle est malheureuse, elle se trouve incompétente et son stage est en train de miner son estime d'elle-même par ailleurs si fragile. Mais je n'arrive pas à croire qu'avec toutes ses qualités personnelles et sa grande empathie, il n'y ait pas de place pour elle quelque part auprès des personnes âgées qu'elle sait si bien entourer. Pourrait-elle être plus heureuse, plus à sa place et plus performante dans une résidence privée, genre famille d'accueil, avec un petit nombre de résidents, peut-être plus autonomes?
Lâche pas tes bonnes habitudes de vie, surtout qu'elles fonctionnent bien pour toi, tu as besoin de toute ton énergie de ce temps-là.
Éphémère,
Oui, elle est douce et prévenante mais dans cette résidence, tout tourne si vite et l'efficacité est le critère numéro un, pas l'empathie et les bons soins!
Zoreilles,
Il y a plein de milieux qui lui conviendraient très bien mais pour ça, faudrait qu'elle ait son fichu diplôme. Et sans stage réussi, elle ne l'aura pas! Mais je me calme et je m'en vais à l'aquaforme.
Elle est dans une résidence privée actuellement. Elle n'a pas le droit de travailler dans les chsld parce qu'elle n'a pas de secondaire 5.
Quel monde dégueulasse. C'est certain que tous les centres en sont pas ainsi, mais ça fâche lire ça!
Unautreprof,
Je reviens de mon bénévolat-bébés et j'ai pu parler à l'amie de la maman, qui travaille dans un chsld public. Elle gagne 20$ l'heure, elle doit s'occuper de huit bénéficiaires en très grande perte d'autonomie et physique et cognitive et elle aussi, dit qu'elle doit aller vite! Elle les traite avec le plus de gentillesse possible mais le temps passé à les laver ou changer les couches est pas mal le seul temps pour leur parler. Elle leur parle en les nourrissant à la cuillère aussi. Pour l'histoire du manque de savon, elle ne se serait pas gênée pour aller en chercher dans une autre chambre, l'autre bénéficiaire ne s'en serait pas rendu compte. Ouain.... quand même, qui veut finir sa vie comme ça? Ces gens sans défense ne votent plus et ne sont pas en mesure de revendiquer. Ces gens-là, ça pourrait être moi ou vous dans quelques années si on a le malheur d'attraper l'alzeimer.
Tu as raison de dire que ces gens vulnérables ne votent plus et ne sont pas en mesure de revendiquer. Ce sont les familles (lorsqu'elles ne les abandonnent pas) qui doivent le faire pour eux. Malheureusement, plusieurs familles impliquées jettent le blâme sur le personnel au lieu de faire équipe avec eux. Ils n'ont pas compris que c'est plus haut qu'ils doivent faire pression pour que les soins et services s'améliorent.
J'espère que ta fille réussira son stage et obtiendra son diplôme, le réseau public et privé a grand besoin de personnes comme elle qui humanisent les soins pour ces personnes si vulnérables.
Non, on ne veut pas vivre ça, ni pour nous-même ni pour personne de notre entourage. Il fut un temps où je voulais vivre vieille. Plus maintenant. Triste fin de vie pour la personne elle-même qui n'en a plus conscience ni pour son entourage qui a pleine conscience.
C'est bien dommage qu'elle ne soit pas mieux entouré, je crois qu'elle serait bien apprécié des personnes âgées.
Ce serait génial qu'elle tranvaille dans ces établissements mais avec un poste sans autant de responsabilités. Quitte à être payée moins cher. Elle a le coté humain développé, c'est de plus en plus rare de nos jours...
Zoreilles,
Si elle réussit son cours, tant mieux, si elle ne réussit pas son cours, tant mieux aussi. Je lâche prise totalement. Il était temps. Quoi qu'il arrive, on s'adaptera.
Solange,
Elle est en effet très aimée des personnes âgées de la résidence. Ce soir, elle a l'air moins découragée. Elle apprend le portugais sur l'internet et pas de larmes en vue. Faut dire que je ne lui ai même pas demandé comment s'était passée sa journée. Je n'ai pas pris de chance! ;o)
Pur Bonheur,
Je ne sais pas vers quoi tout ceci s'en va! Elle a le côté humain très développé en effet et sait faire preuve de gros bon sens. Il lui reste une semaine de stage!
Si on nous avait prédit, il y a un an qu'aujourd'hui ta fille aurait réussi une formation d'aide aux bénéficiaires, passé ses examens et qu'elle serait présentement en stage, on n'y aurait probablement pas cru. Pourtant, elle y est. Si elle est mal jugée par ceux qui font partie du système (ou qui subissent le système), c'est curieusement parce qu'elle a de bonnes valeurs et ne peut accepter la façon, souvent irrespectueuse, dont ils se disent obligés de traiter les patients. Elle résiste, au lieu de baisser la tête et jouer le jeu et je trouve cela admirable. Ses capacités académiques sont peut-être moindres que plusieurs autres, mais ses valeurs, son tempérament, son jugement font d'elle une personne essentielle à notre société. À travers cette expérience, ce qui en ressort, c'est qu'elle a d'abord et avant tout pensé aux gens dont elle prenait soin, plutôt qu'à faire des trucs qu'elle jugeait impensables juste pour obtenir son diplôme.
Tu sais, si ma mère devait un jour se retrouver dans un centre du genre, je souhaiterais que ce soit une préposée comme ta fille qui en prenne soin.
C'est donc un beau message que tu m'écris là, Pierre! Merci beaucoup. Ça me fait chaud au coeur et tout ce que tu dis est tellement vrai. J'en étais rendue à la brusquer ma fille et à lui donner "des trucs" pour aller plus vite afin qu'elle réussisse son stage, au mépris des soins et de l'empathie envers les bénéficiaires. Elle résistait et elle avait raison. Actuellement, j'accepte qu'elle échoue le stage. Bon, je n'ai évidemment pas le choix là-dessus mais si elle échoue parce qu'elle aura tenu bon au niveau de ses valeurs, comment lui en vouloir? C'est juste fort dommage parce qu'il est certain qu'elle aurait pu faire une différence dans la vie des gens dont elle s'occuperait. Et j'avais espoir de trouver un autre endroit plus respectueux des personnes âgées où elle aurait pu travailler.
Et puis, on ne le sait pas si elle échoue. On le saura vendredi! Mais je suis prête à tout. Je l'aime ma courageuse fille au grand coeur. Elle est en train de faire une dépression, je pense. Je ne la reconnais plus. Le plus important, c'est sa santé. J'arrête de la pousser.
Savez-vous pourquoi ma fille apprend le portugais par internet? Parce qu'elle a une bénéficiaire à sa charge qui ne parle ni français ni anglais, seulement le portugais! Alors elle veut pouvoir minimalement communiquer avec elle! Elle m'épate ma fille. Je serai toujours là pour elle. Bon, pas toujours, je vais bien finir par mourir mais le plus longtemps possible en tout cas.
Wow! J'en connais beaucoup qui ne se donnerait pas tout ce mal! Elle a de très belles qualités ta fille!
Après avoir lu ce billet, j'aimerais tellement te dire à quel point je compatis avec toi. J'ai de la peine et pour toi et pour ta fille qui, somme toute me semble la personne toute désignée pour s'occuper des gens; patience, coeur, générosité... Il y aura sûrement des solutions. J'ose y croire avec toi très chère amie. Il me semble que ce qu'on fait, on doit bien le faire et avec tout son coeur. Et s'il n'y a pas possibilité de le faire, cela devient un non sens.
Je t'embrasse bien fort xxx
Son empathie, sa sociabilité finiront par payer que diable.
Nanou,
Là, elle en est à finir ce stage et j'en suis là aussi avec elle! Mais je suis positive.
Mijo,
Si elle voulait, elle aurait déjà un job quatre jours par semaine pour s'occuper d'une seule personne mais comme c'est à cet horrible centre (et qui est très loin en plus), elle hésite! Je la comprends et je ne suggère vraiment rien cette fois.
Pur Bonheur,
Oui, je suis fière d'elle.
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