lundi 19 mai 2008

L'enfance, la sécurité et l'abandon

J'ai eu une belle enfance. Pas une enfance parfaite. Mais une enfance comme celle recommandée par les experts pour la santé mentale. Des jeux en plein air en masse, pas trop de supervision, de la place pour l'autonomie et la créativité, le tout encadré par des parents qui ne se posaient pas une tonne de questions et qui détenaient clairement l'autorité. Un climat plutôt serein où il était interdit de se donner des surnoms, où on parlait beaucoup d'estime de soi sans le savoir, où les amis étaient toujours bienvenus. Une mère qui ne faisait pas trop de ménage, qui chantait tout le temps, un père absent la plupart du temps avec la bénédiction de la mère mais affectueux quand il était là. Colérique aussi, mais ça, j'ai oublié.

Pas trop de compliments. On ne voulait pas nous rendre orgueilleux. Je me rappelle une fois, je manquais l'école parce que j'avais la rougeole et j'avais fait semblant de dormir sur le divan et ma mère parlait au téléphone et elle avait parlé de moi avec tellement d'éloges que j'ai cru qu'elle me voyait rougir. Je ne le savais pas qu'elle était si fière que je lise des gros livres, elle me chicanait toujours quand elle me surprenait à lire au lieu d'aller jouer dehors, je ne le savais pas qu'elle était si contente de mes bonnes notes, elle les accueillait avec la même indifférence que les mauvaises notes de mon frère, l'important c'est de travailler, qu'elle disait, si tu as travaillé pour tes notes, tu peux être fière de toi et il n'y a que toi qui sais si tu as travaillé. Mais là, au téléphone, j'ai su qu'elle était fière de moi et je m'en rappelle encore aujourd'hui, quarante-sept ans plus tard.

Quand j'ai eu des enfants à mon tour, ça m'a été facile de tenter de leur faire vivre une belle enfance, j'avais un modèle. Jamais on n'avait oublié ma fête et jamais le Père Noël ne nous avait oubliés non plus. J'étais tellement pleine d'amour que j'ai toujours cru qu'on m'aimait. Quand mes enfants sont exécrables, surtout Dix-sept ans qui a cette manie de dire des méchancetés lorsqu'elle est en colère, je lui dis toujours que je sais qu'elle ne pense pas vraiment ce qu'elle dit et que je le sais qu'elle m'aime, pas au moment de sa colère peut-être, mais que dans le vrai fond elle m'aime et que ça va lui nuire dans la vie d'attaquer sans discernement les gens qu'elle aime et qui l'aiment. "Ça va te nuire dans ta vie de couple si tu ne corriges pas cette mauvaise habitude, Dix-sept ans, dans tes amitiés aussi. " Dans son attitude, il y a l'enfant abandonnée qui a besoin de donner de grands coups pour vérifier qu'aussi agressante qu'elle puisse être, elle ne sera pas abandonnée à nouveau. Je ne l'abandonnerai jamais, elle va bien finir par le croire. C'est pour ça que c'est si important qu'elle ait une place, une chambre à la maison même si elle l'occupe de moins en moins souvent.

12 commentaires:

Solange a dit...

Tout l'amour qu'on reçoit dans notre enfance nous marque pour la vie. Patrick Lagacé avait demandé aux gens sur son blogue d'écrire une lettre à leur mère pour la fête des mères. Les lettres affreuses de personnes blessées par leur mère qu'il a reçu, l'a boulversé. Il y a tant de personnes qui souffrent du manque d'amour.

Lud. a dit...

J'ai aimé lire où vous vouliez en venir avec ce thème... mais surtout, je suis contente de constater que vous vous en êtes rendue compte pour 17 ans. Presque majeure ou pas, on a toujours besoin de notre mère et aussi de savoir que quelque part, même si on est parti, il y aura toujours une place pour nous.

Une femme libre a dit...

Oui, j'ai lu Patrick Lagacé à ce sujet dans La Presse, Solange. Ce sont les gens blessés qui lui ont écrit car je ne peux croire que ce soit la majorité des gens qui soient si amèrement déçus de leur relation avec leur mère. Très triste vraiment.

C'est ma mère à moi qui est souvent stupéfiante de justesse dans ses perceptions qui me faisait remarquer que le ton acerbe à mon égard de Dix-sept ans ressemblait trop à de la provocation pour être anodin, Lud. Ma meilleure tactique, au lieu d'exiger qu'elle change de ton comme j'étais portée à le faire, ce sera dorénavant de lui répéter que je l'aime, car son insolence est en fait un appel à la réassurance. Je suis peut-être dans les patates, mais c'est ce que j'ai décidé d'essayer pour l'instant. Jusqu'à ce que je me tanne si ça ne marche pas et que j'exige le respect à grands cris. Héhé! Je ne suis pas une mère parfaite moi et surtout pas une martyre! ;o)

Caro et cie a dit...

J'ai grandi dans l'amour moi aussi... Mais aussi dans le refus de trop nous complimenter ma soeur et moi. Pourtant, j'étais très performante.

Aujourd'hui, mon père, trouve que je vante trop mes enfants... Devant eux...lol...

Ce devait être la mode...

Pur bonheur a dit...

C'est l'enfance qui forme les adultes que nous sommes. Et on ne peut pas la revivre, changer quoi que ce soit. Ceux qui ont été blessé doivent apprendre à vivre avec leur blessure et c'est dommage, car toute leur vie est changée..
Heureusement un conjoint ou une conjointe par son amour peut combler quelques carences de l'enfance, sans vouloir jouer au sauveur.

Une femme libre a dit...

Oui, c'était la mode d'être avare de compliments et j'ai fait le contraire avec mon fils, tout ce qu'il faisait était extraordinaire! J'ai le sens de l'exagération, que voulez-vous. Ça a donné quelqu'un de très bien mais avec un égo énorme! Il a eu besoin de dures leçons de vie pour comprendre que l'univers entier n'était pas en admiration envers lui. Avec mes filles, je suis plus modérée! ;o)

@pur bonheur. Il y a pourtant des gens qui ont eu des enfances difficiles qui s'en tirent très bien, heureusement! Les résilients dont parle le très intéressant Cyrulnik. Mais il est certain qu'une belle enfance est un merveilleux cadeau à faire à un individu.

Méli a dit...

J'ai aussi eu une très belle enfance et j'en suis très reconnaissante à mes parents de qui je me sens d'ailleurs de plus en plus proche... J'essaie de donner la plus belle enfance possible à ma fille, c'est ma façon de rendre ce que j'ai reçu... Mes parents m'ont toujours fait confiance et j'en ai toujours été digne et je pense que ça a été marquant dans ma vie... je remercie la vie de cela... Mon début de vie adulte a été plus difficile... mais là, ça se replace bien... hi hi hi !!!

Une femme libre a dit...

Nous, les chanceux et chanceuses qui avons eu une belle enfance avons peu de mérite à donner la même chose à nos enfants,Méli. Ceux que j'admire vraiment, ce sont les poqués de l'enfance qui, à force d'efforts et de volonté, arrivent à faire vivre une enfance heureuse à leurs enfants à eux, brisant ainsi le cercle de la maltraitance. Rien d'évident pour eux, tout à construire, car ils n'ont pas de modèle.

Encre a dit...

J'ai également eu des parents extrêmement aimants et dévoués, qui complimentaient mais toujours avec réserve à cause de cette crainte de faire naître la suffisance. De mon côté, je noie mes enfants sous les compliments, ce qui n'est peut-être pas mieux que de ne pas en faire.Je ne sais pas trop, mais je suis incapable de me contrôler ;)

Une femme libre a dit...

Contrôlez-vous ma belle car il est encore temps (du moins pour la petite). J'ai fait un cours de quarante-cinq heures avec Germain Duclos (le grand spécialiste de l'estime de soi) dans le cadre de mon certificat en Petite Enfance et famille et il nous a affirmé que trop de compliments nuit à une estime de soi saine! Oui, ma chère Encre, on peut avoir l'estime de soi disproportionnée et c'est directement causé par les parents comme nous (j'ai fait ça à gogo avec mon cher fils) qui s'empressent de complimenter et d'afficher avec emphase le plus banal dessin ou l'ombre d'une réussite. Ces enfants deviendraient mal équipés pour affronter la vraie vie dans laquelle le professeur d'université va te mettre une mauvaise note sans considérer et complimenter "tes efforts", le patron te mettre à la porte sans pour autant te complimenter pour être toujours arrivé à l'heure et ta blonde te quitter malgré que tu sois tellement extraordinaire. Les enfants trop complimentés pour tout auraient même des personnalités plus fragiles, attendant de tous les compliments auxquels ils sont tellement habitués et perpétuellement déçus de ne pas en revevoir pour le seul fait d'exister et de sourire de leur sourire tellement irrésistible qui faisair craquer leur mère. Mon fils, qui a maintenant vingt-huit ans, a mangé plus de claque de la vraie vie que mes filles, qui elles, ne s'attendent pas autant à être reconnues et appréciées pour chacun de leurs faits et gestes. Duclos a raison. La mesure dans tout... même dans les compliments.

Encre a dit...

Vous avez probablement raison. L'insécurité maladive («si on ne me complimente pas 24h sur 24, c'est que je suis nulle») qui se développe chez ma plus vieille vient peut-être de là. Je n'avais pas vraiment songé que mon attitude pouvais engendrer ce genre de conséquences.

Encre a dit...

Merci d'avoir pris le temps de me faire part de tout ça.