mardi 13 octobre 2009

Se reconstruire

Mon père avait de l'ambition. Il travaillait. Tout le temps. Pour sa famille. Et parce qu'il aimait ça. C'était sa vie, son travail et il a travaillé jusqu'à sa mort et il en était très fier. Quand le médecin lui a dit qu'il avait un cancer du pancréas, il avait soixante-douze ans et était en habit cravate pour la visite. Le doc avait demandé que ma mère l'accompagne. Il a encaissé le coup. Et est retourné au bureau! Cinq semaines plus tard, il était mort. Il avait eu le temps de tout régler ses dossiers, de refaire son testament et de magasiner son urne funéraire!

Quand on était petits, il avait trois jobs. Un travail de bureau la semaine, un travail de vendeur les jeudis et vendredis soir et il faisait du taxi la fin de semaine et les jours fériés. Il plaçait l'argent et investissait. Il achetait des maisons à revenus aussi. Son capital montait. Il était content. On continuait de vivre très modestement, il continuait à "assurer notre avenir". Quand j'ai quitté la maison, les choses allaient très bien. Mes parents se sont acheté des meubles neufs. Ils ont commencé à voyager. Et puis, il a tout investi dans la compagnie qui l'employait. Il l'a achetée. Il en est devenu le fier président directeur général.

Un an plus tard, il faisait faillite. À cinquante ans, mon père avait tout perdu. Envolé le fruit de toutes ces années de travail acharné. On s'est retrouvés sans le sou.

Je n'habitais plus la maison, mais il devenait évident qu'il y avait maintenant des choses à cacher. Le mot dépression n'a jamais été prononcé mais mon père en a donc eu des grippes et des rhumes qui le faisaient garder le lit cette année-là! Ma mère, elle, semblait peu affectée. L'argent ne fait pas le bonheur, se plaisait-elle à répéter. Et la vie continua.

Une année passa et mon père se remit à travailler, avec l'énergie que nous lui connaissions. Et les choses tournèrent bien. Il réinvestit tranquillement son capital. Il avait maintenant de l'expérience. De l'audace encore mais aussi de la prudence. Il se prit des associés. Ils rachetèrent une autre compagnie, plus petite. Mes frères maintenant jeunes adultes y travaillèrent avec lui.

Mon père se refit financièrement et les profits de la compagnie lui permirent de couler des jours plus calmes. Il travaillait toujours autant mais il adorait travailler. Les loisirs de cet homme, c'était son travail! Il se plaisait cependant à dire, comme ma mère l'avait toujours répété avant lui, que l'argent ne fait pas le bonheur et que sa plus grande fierté, c'était sa famille et l'amour qui nous unissait.

10 commentaires:

Mamzell_McJ a dit...

quel bonbon que la découverte du premier homme de votre vie :-)

Pur bonheur a dit...

J'adore lire les histoires de vie, les biographies. Votre père a eu une vie très remplie, comme le mien.
Sur sa pierre tombale on a fait inscrire : Une vie bien remplie, un repos bien mérité. Un jour , je vous raconterai l'histoire de mon père.
Étiez vous une 'dady's girl?'

Véro a dit...

merci pour le beau partage :0)

Nanou La Terre a dit...

Témoignage touchant pour votre petit papa. Un homme avec beaucoup de coeur au ventre et rempli de courage. Il vous a légué un bel héritage de coeur.
le mien, aujourd'hui décédé souffrait du mal bipolaire mais m'a légué pourtant de belles choses. C'était un homme extrêmement sensible et franc.

Mamounia a dit...

Wow, tout un roc ton père, cà a dû être terrible pour lui de tout perdre ce qu'il avait eu tant de mal à ramasser. Bravo, c'est un bel exemple de ténacité et de courage!

Une femme libre a dit...

J'adorais mon père, Juliette!

J'étais sa fille unique, Pur Bonheur et la seule personne de la famille qui lui tenait tête, car je n'ai pas tout dit, il pouvait être tyrannique et devait avoir raison. Mes frères, plus intelligents que moi peut-être, ne l'astinaient jamais, disaient comme lui et faisaient tout le contraire. Moi, je l'affrontais. Il pouvait passer des jours sans m'adresser la parole. Ma mère, au bout de trois jours, m'adjoignait d'aller m'excuser. "Pourquoi je m'excuserais? J'ai raison." Et alors tombait la phrase fatidique. "Parce que c'est ton père." Et je m'excusais.

Les filles et leur père, un lien si particulier, Véro. C'est Grande Dame qui m'a inspirée pour parler du mien. Pierre F. aussi (voir dans mon blogroll) avec son billet sur les gens qui ont perdu leur argent à cause de Vincent Lacroix.

Les êtres humains sont si complexes, Nanou, ils sont tellement plus que la somme de leurs maladies.

Oui, il était courageux, persévérant, extrêmement travaillant et .... exigeant pour ses enfants, vous avez dû le deviner, Mamounia

Méli a dit...

Beau témoignage !

Juste moi a dit...

J'y ai vu un peu du mien- dans ce billet. Mon père qui a toujours travaillé - le fait encore aujourd'hui malgré la retraite. Qui nous a transmis l'envie du travail bien fait, le goût du dépassement, la fierté. Sauf que ... parfois j'ai l'impression qu'il ne sait rien faire d'autres. Que rien ne le passionne, ne lui donne envie de créer, de rêver. Sans son travail, il "végète". Et ça, je trouve ça dommage.
Rêveuse

Solange a dit...

J'aime beaucoup lire sur la vie des gens,et j'ai aimé faire la connaissance de votre père.Vous dites qu'il était sévère, c'était aussi la mentalité de cette époque. Le père avait l'autorité.

Une femme libre a dit...

Merci,Méli!

Mon père n'avait pas de loisirs, en effet, Juste moi, mais il n'en était pas malheureux. Qui sommes-nous pour juger que leur vie axée sur le travail est inférieure à une vie pleine de loisirs? Tellement pas simple!

Sévère mais affectueux, Solange. Et mon père avait une grande confiance en moi et je n'ai jamais pu lui mentir.