vendredi 12 juillet 2013

Suite

Impossible de lui trouver une autre école privée avec son dossier disciplinaire. On devra se contenter de l'école du quartier. Or, je n'aime pas la polyvalente avec ses voyous bruyants et mal élevés qui font peur. Je sais, je sais, ils ne sont pas tous comme ça, mais je suis réaliste et je sais que sans encadrement, c'est avec les pires des bad boys qu'elle se tiendra, Fille qui aime le trouble.

C'est ma belle-soeur qui va l'inscrire à la polyvalente. Je ne veux pas manquer encore une autre journée de travail et surtout, j'ai peur que ma peur de la polyvalente transparaisse. Sur son casier, il y a des graffitis, dont un "bitch" en grosses lettres, me dit belle-soeur. Ça augure mal.

Et mal ça ira. Elle ne rentre plus, s'habille vulgairement, fait à sa tête, ne mange plus avec nous, m'ignore. Je n'ai plus aucun contrôle dessus. La polyvalente envoie les avis de retards et d'absences sur le répondeur par un robot automatisé. Elle efface les messages quand elle arrive de l'école et que je suis encore au travail.

Je fais appel aux centres jeunesse. Je n'en viens plus à bout. On m'envoie une éducatrice de milieu. Déclare que je suis trop sévère. On "négocie" des rentrées à 22 heures la semaine, minuit la fin de semaine. Me semble que c'est tard un peu pour une fille d'à peine douze ans. Je plie. Je ne me sens pas supportée. L'éducatrice s'enferme longtemps avec ma fille dans sa chambre et je les entends rire. Me semble que c'est plus d'encadrement que de complicité dont elle a besoin mais je suis démunie, perdue, découragée. Je laisse aller. De toutes façons, je ne l'ai plus le contrôle.

Elle respecte les heures de rentrée que je trouve tardives mais coudons, elle les respecte je devrais être contente.

Elle veut aller à une fête dans un collège privé, un samedi soir. Je refuse. Elle y va quand même, sans manteau, pendant qu'on regardait tranquillement la télévision. Je la croyais à la salle de bain et je constate qu'elle est partie. Furieuse, je me précipite au collège Villa-Maria, c'est là la fête. Je la cherche partout. Il y a de la musique forte, il fait noir. Je sais qu'elle est là et qu'elle me nargue. Je finis par la trouver, elle se sauve. J'appelle mon fils adulte pour avoir du renfort. Il vient. L'attrappe. Elle hurle et se débat. Il la met de force dans la voiture. Horrible vision. Je perds pied. Quand je raconterai cet épisode à l'éducatrice des Centre jeunesse, elle me questionnera pour savoir pourquoi je lui avais interdit de sortir. Rien de plus. Comme si c'était moi qui étais dans le tort.

Dans le temps des Fêtes, ça va de mal en pis. Je ne sais plus où elle est ni avec qui. Elle a beaucoup d'argent et je n'ai aucune idée d'où il vient. Elle ne mange plus avec nous. Ça sonne à la porte et elle s'est fait livrer une pizza! Je rappelle le Centre jeunesse. Je veux un placement. Je n'en viens plus à bout. Leur éducatrice, qui de toutes façons est en vacances, ne m'aide pas. Elle me nuit. Elle prend la part de ma fille. Elle est en danger ma fille. Je n'ai plus aucun contrôle dessus.

On essaie de me calmer. On me parle des difficultés normales de l'adolescence. Justement! Ce n'est plus normal! On verra à tout ça après les Fêtes. Rester calme. Elle respecte ses heures de rentrée. Elle est un peu "difficile" mais qui ne l'est pas à cet âge?

Jusqu'à un soir où elle ne les respecte pas ses heures de rentrée. À trois heures du matin, j'appelle la police. Avez-vous une photo? Ils me font appeler tout le monde que je connais ou que je sais qu'elle connaît. On va la chercher madame. Je reste à côté du téléphone, frigorifiée, pétrifiée, dans l'horreur la plus totale. Pas une minute de sommeil. Le jour se lève. Je rappelle la police. Non, madame, pas de nouvelles. Elle doit être couchée chez quelqu'un. On continue à la chercher. Elle rentre à dix heures du matin, les boucles d'oreilles arrachées, les vêtements déchirés. Un homme dans une voiture. À peu près quarante ans. Il l'a emmenée chez lui de force. Il l'a violée. Je la prends dans mes bras. Non, ne va pas te laver, il faut des évidences, maman s'occupe de tout  mon bébé.

Je rappelle la police. Une équipe d'agression sexuelle composée de deux policières s'enferme dans la cuisine avec ma petite fille. Moi, deux autres policiers m'interrogent dans le salon.

C'est long dans la cuisine. Ça ne finit plus. Quand je frappe à la porte, on me renvoie. On n'a pas fini, madame.

Et puis, elles sortent. Pas vrai l'agression. Elle était bien avec un homme adulte mais elle a tout inventé pour le reste. Pour ne pas se faire chicaner. Pour éviter le trouble.

Ça ne va vraiment pas, que je dis aux policières. Je n'en viens pas à bout. C'est dangereux pour sa sécurité.

"Vous voulez qu'on l'emmène au poste et qu'on appelle les Centre Jeunesse?" me demande la plus jeune.

"Oui"

C'est comme ça, en urgence, que ma fille a vécu son premier placement.  Je lui ai fait une valise, rapidement. Pas une larme, pas un son, elle est partie avec les policières sans un adieu, l'air enragé. Une fois la porte refermée, je l'ai regardée entrer dans la voiture de police. Quand la voiture a démarré, je me suis assise et j'ai pleuré.

7 commentaires:

Mélissa a dit...

ça a du être des année difficile, épouvantable même.. ouff c'est dure juste de le lire alors le vivre ce devait être quelque chose!

Une femme libre a dit...

Je dirais que ça et ma séparation du père de mon fils ont été les épreuves de ma vie. Ça me fait du bien de raconter ça (en même temps que du mal eheh!), c'est comme un espèce de bilan,de recul, pour mieux avancer.

Nanou La Terre a dit...

Chère Femme Libre,
le lis et je boue, je boue et je boue intérieurement. J'ai beaucoup de difficulté à te lire car ce que tu as vécu, je l'ai aussi vécu.

J'ai porté plainte 2 fois contre
des intervenants de la DPJ. Des plaintes qui ont été entendues, reçues et acceptées. J'ai pu ainsi retrouver ma dignité en tant que parent responsable et sensé.

Quel calvaire pour un parent qui éduque bien son enfant. Ce que tu décris est tout à fait semblable à ce que j'ai vécu comme parent avec Fafouin: le manque de support,de connaissance, de confiance des intervenants, la solitude intérieure extrême qu'on vit....

Je te fais un gros, un immense câlin xxx

Marie-Michèle a dit...

Que je trouve dur de lire cette histoire... quelles épreuves pour un parent... C'est incroyable ce que vous pouvez avoir vécu... et malgré tout ça, je reconnais en vous une force incroyable... et je vous comprend que ça fasse du bien de raconter ça... un genre de libération... même si ça ravive des souvenirs, c'est une libération de pouvoir être capable de mettre sur papier ces épreuves...

Une femme libre a dit...

Ça toujours été difficile avec elle, mais ma vie n'a pas toujours été difficile! J'avais un chum, un travail prenant et valorisant, d'autres enfants, une maison à entretenir et j'étais même famille d'accueil. Alors, entre toutes les activités et la vie super occupée, il y avait plein de bons moments. Quand elle a été pensionnaire, ça allait même très bien. Elle revenait la fin de semaine. Le samedi se passait bien et le dimanche... on avait hâte toutes les deux de se séparer et ça paraissait. Mais rendu là, c'était une question d'heures alors je faisais bien des compromis. On sortait beaucoup aussi et elle se conduisait bien quand il y avait d'autre monde.

Une femme libre a dit...

Nanou, il y a pourtant des éducatrices qui ont été vraiment excellentes et avec lesquelles je me suis enfin sentie "libérée" de ma fille. Surtout dans les centres d'accueil à sécurité maximum, je dirais. Il n'y en a d'ailleurs plus de ces centres qui ressemblaient drôlement à des prisons, avec fouille quand on allait visiter et plein de grilles et de portes barrées. Les jeunes sont beaucoup plus libres maintenant, même les difficiles. Il y a donc plus de fugues. Moi, de la savoir enfermée à double tour et enfin en sécurité, ça me faisait le plus grand bien. Et à elle aussi en quelque part. Ça la calmait et ça la centrait.

Une femme libre a dit...

Marie, pour dire vrai, j'ai connu des parents qui, excédés, dépassés et voyant leur vie sombrer, ont décidé de "remettre" leur enfant aux centres jeunesse. On en parle peu de ces parents adoptifs qui, après avoir attendu, voyagé au bout du monde et payé cher pour le tout, décident d'abandonner l'enfant adopté. Il y en a pourtant et je connais personnellement un couple et j'ai su que c'était arrivé à d'autres que je connais moins bien. Leurs enfants se retrouvent "dans le système", centre d'accueil jusqu'à dix-huit ans et puis ils sont lancés dans la vie. Une deuxième adoption est rarement envisagée (mais des fois oui) et les familles d'accueil n'endureraient jamais ce que des parents adoptifs supportent. Triste destin. Je n'aurais pas pu faire ça. Et l'espoir me tenait. L'espoir que ça change, l'espoir d'un miracle, l'espoir d'une thérapie gagnante. L'espoir.

Mais je comprends parfaitement que l'on décide de ne pas gâcher sa vie pour un enfant qui ne nous aimera jamais et pour lequel il n'y aura jamais de réelle relation parent-enfant. Si on le fait, il faut le faire sans culpabilité et le premier couple y a réussi avec l'aide d'un thérapeute.