mercredi 30 avril 2008

La cave

Ma grande est plutôt petite. Elle m'a reçue dans son minuscule appartement dans une cave. Pas dans un sous-sol, dans une cave, sa vue donne directement sous les balcons et c'est nouveau qu'elle en ait une vue, depuis que le banc de neige est fondu seulement. Elle a passé l'hiver sans fenêtre. Tout propre son tout petit appartement. Elle n'a pas de table. Ils mangent assis sur leur divan déchiré. C'est elle qui l'a déchiré lors d'une de ses crises de rage. Bien sûr que j'ai déjà offert de leur en procurer une table. Ils n'ont pas de place, me dit-elle, et puis ils préfèrent sans. Quand je repense à mon premier appartement, je comprends tout à fait. Je me suis donc assise à côté d'elle sur le divan raccommodé au scotch-tape, devant la télé. J'ai demandé si on pouvait allumer la lumière, elle a dit oui. On a parlé un peu d'elle. Elle ne pouvait pas sortir parce qu'elle avait mal à la gorge. Elle était emmitouflée dans sa doudoune sur le divan et me disait qu'elle allait mieux, que les médicaments l'aidaient déjà. J'avais apporté des livres sur la dépression, deux pour elle et un pour son chum, un livre pour ceux qui vivent avec quelqu'un qui fait une dépression. En anglais? Il ne pourra pas le lire, qu'elle me dit. Je lui en ai lu des bouts. Quand elle a compris que le conseil majeur était de faire soigner la personne même malgré elle, de créer une équipe et de l'entourer, de ne pas rester seul isolé avec une personne malade, elle m'a dit de le rapporter, ce que j'ai fait.

On a rempli ensemble son formulaire de demande de passeport. On a abordé très légèrement le thème de la psychologue. Très très légèrement. Et puis, ses yeux se sont fermés. "Tu dors?". "Oui", me répond-elle. Le congé m'était donné. Mais avant que je parte, elle a tenu à me servir du gâteau. Régime ou pas, j'en ai pris. Ma fille qui avait du gâteau dans sa maison et qui m'en servait un morceau ("pas trop gros, grande fille, pas trop gros") dans une jolie assiette, toute fière, c'était un beau spectacle tout de même. Elle m'a même regardée en manger avec les yeux brillants. Si elle en a mangé aussi? Mais non, voyons, elle a des tendances anorexiques, ma toute belle, ma toute délicate enfant. Je suis partie, son chat me suivait, elle l'a pris dans ses bras. "Tu vois assez dans l'escalier?" Noir, cet escalier de cave, totalement noir. Mais oui, ma belle, je vais me débrouiller et je suis touchée que tu te soucies de ma sécurité. On se revoit mardi prochain à la même heure? Si tu vas assez bien, on ira se promener. Elle a plus ou moins répondu. La sortir de sa cave, ce n'est pas une mince affaire. Mais elle m'a semblé beaucoup mieux que la dernière fois que je l'avais vue, il y a une dizaine de jours.

Dans le livre en anglais pour le conjoint, les parents et amis d'un malade mental adulte, le conseil donné aux parents, c'est de voir un psychologue pour eux, pour les soutenir dans cette épreuve. C'est une bonne idée. Leur rôle est délicat en effet. Ne pas prendre en charge l'enfant adulte mais être là pour l'aider à sa demande. Ceci ne s'applique pas si la personne est suicidaire évidemment, dans ce cas, il faut passer aux mesures d'urgence.

14 commentaires:

Mathieu a dit...

Qu'est-ce qui l'à menée à cet état?

Une femme libre a dit...

Une très longue histoire, mon beau Mathieu,une très longue histoire malgré sa jeune vie. Si je me lance là-dessus, je pourrais écrire un blogue entier sur le sujet. Sa dépression pourrait cependant être une voie de sortie, une ouverture vers une vie meilleure, selon l'utilisation qu'elle fera de ce moment de vulnérabilité. Je ne perds pas espoir pour elle. Bien au contraire.

Anonyme a dit...

J'aime bien le titre de ce billet, qui signifie beaucoup plus qu'une simple cave de maison.

Anonyme a dit...

Ce doit être très difficile de voir sa fille dans cet état.

Je crois que je fais de rester dans une cave, sans lumière, ça ne doit pas l'aider (voir luminothérapie).

Anonyme a dit...

Je viens de lire votre réponse à propos de mon commentaire sur l'histoire tragique et magnifiquement écrite de votre cousine. Je sais bien que vous racontez des histoires vraies, je n'en doute pas une seconde! Vous possédez un réel talent pour raconter. Le saviez-vous? Votre blogue est passionnant, bien écrit, et les petites histoires se lisent à part entière. Des petits bijoux de petites histoires. Merci!

Anonyme a dit...

Bonjour FemmeLibre,

Peu après la naissance de notre dernière, ma blonde a fait une dépression majeure et je me souviens de cette période inquiétante (heureusement assez courte) ou elle passait ses journées à la cave, assise sur un matelas dans un coin. La dépression de votre fille et sa cave m'ont rappelé cette période difficile. Elle a vu et continue d'ailleurs encore de voir un psychologue et prend une médication qui lui permet une vie normale. Au cours des années, elle a changé de psychologue à quelques reprises et c'est le dernier qui s'est avéré le plus efficace. Sa technique est moins traditionnelle, parce qu'il se concentre sur les rêves. J'avais acheté un dictaphone à ma blonde pour qu'elle puisse, au réveil, enregistrer ce qu'elle se rappelait de ses rêves. Cette approche du psychologue me paraît intéressante, parce qu'à travers les rêves, l'inconscient s'exprime beaucoup. Je me souviens d'un passage de la bible ou on disait que les rêves sont: "L'image de l'homme face à l'homme". Même si j'étais sceptique au départ, je dois admettre qu'un changement majeur est survenu au cours des 5 dernières années. Concours de circonstances, le temps, peut-être, mais les résultats sont palpables. Elle est beaucoup plus en paix avec elle-même et son passé. Notre rôle, dans ce genre de situation comme vous le dites consiste surtout à marcher à côté, au même rythme, sans pousser ni tirer, sans porter, juste rester présent et à l'écoute.

Mamzell_McJ a dit...

un simple mot pour souligner mon passage et que je n'ai nullement l'envie de commenter car qui suis-je pour ajouter à ce billet.

Bonne journée à vous

Julie Kertesz - me - moi - jk a dit...

c'est si dur des fois d'être parents, nous voulons aider, pouvons-nous? combien faire? que faire?

après des années des non-études, études commencés et jamais finis, finalement, j'ai écouté un conseil d'un livre et j'ai coupé (provisoirement) la corde qui le liait mon fils à moi,

je lui ai dit, que je n'ai plus d'argent pour lui donner, qu'il devrait trouver du travail

"je vais mourir de faim, je ne trouverai rien"

mon coeur se fendait

deux semaines plus tard, il avait trois propositions de travail et il a choisi à enseigner, des langues, lui qui ne s'était jamais mis à apprendre, finalement, il s'est mis à apprendre et paralelement à son travail a repris aussi ses études

j'ai eu de la chance, il a fait finalement une brillante carrière, après ses études et pris surtout de confiance en lui même

mais chaque cas et si différent! merci de m'avoir permis à cette occasion de raconter mon histoire

unautreprof a dit...

oh,

votre billet me touche beaucoup, beaucoup.

Anonyme a dit...

Arrivée au hasard des promenades sur la blogosphère..je "tombe" sur ce billet émouvant, à la fois triste par la réalité qu'il suppose et pourtant plein d'espoir...
merci

Une femme libre a dit...

Mayieve, ma petite a toujours eu peur des fenêtres et de la lumière. Dans le noir, bien cachée ,elle se sent en sécurité. Quand je l'ai adoptée, à quatre ans et demi, elle souffrait d'un choc post-traumatique. En Haïti,elle a vu des membres de sa famille éventrés vivants devant elle en plus d'avoir également vécu des sévices divers, la misère extrême et plusieurs abandons.

Oui, Pierre F, c'est ça, rester présent et à l'écoute. Merci de votre témoignage porteur d'espoir.

Ma chère Juliette, qui êtes-vous pour ajouter à ce billet? Une femme qui a de l'expérience, du gros bon sens, de la sensibilité et quelqu'un dont je respecte beaucoup l'opinion.

Il faut les laisser aller, Julie, avec confiance dans leurs capacités. Merci de ce beau témoignage.

C'est votre sensibilité qui me touche, Un autre prof!

Bienvenue chez moi Coumarine, je suis heureuse que vous ayiez perçu l'espoir de ce billet sur ma fille bien-aimée.

Une femme libre a dit...

Petite Fadette, oui, la cave est un symbole en effet. Merci pour les compliments sur mon écriture, ils me remontent le moral en cette journée où je me sens un peu nulle.

Mathieu a dit...

:)

très bien alors. Je suis passé par là également.Ça fait grandir.

Le plus beau moment de ces "passes", c'est quand on tape le fond. Au fond, on ne peut pas descendre plus bas. Reste seulement à remonter. c'est la prise de conscience de ce fait qui change tout.

bon courage en attendant. :)

Anonyme a dit...

Nice post, kind of drawn out though. Really good subject matter though.