lundi 14 avril 2008

La cousine

J'ai plusieurs cousines. Celle dont je vais vous parler est la plus jolie. Une de ces beautés classiques et naturelles, avec des cheveux noirs droits et longs, des grands yeux en amandes et une dentition éclatante. Le mari est tout aussi beau et les enfants, euh... ce sont des enfants, une petite fille qui parle comme un livre et qui a quatre ans au moment des événements que je vais vous raconter et un petit bébé fille de quelques mois. La jolie cousine qui travaille comme commis de bureau est donc en congé de maternité et c'est samedi. Le jeune couple vient d'acheter une maison à Laval et l'a décorée avec goût, car en plus d'être jolie, la cousine a aussi du goût.

Le mari qui est actuaire fait une maîtrise à l'université et il doit donc étudier. Pas de problème, la jolie cousine va à un party d'anniversaire chez une amie de garderie de sa fille de quatre ans dont la mère est aussi son amie à elle. Elle amènera le bébé qui est un adorable bébé qui sourit tout le temps. Un baiser au mari et la maman et les deux marmots sont en route. Arrivée chez les amis, Cousine constate qu'elle a oublié le cadeau d'anniversaire de la petite Fêtée qui demande justement, pas aussi impeccablement élevée que sa fille à elle "Il est où mon cadeau?" Merde!

-Mélanie, il y a un pépin, j'ai oublié le cadeau à la maison. Je reviens avec.

L'amie offre de garder aussi le bébé souriant et Cousine part à la maison toute seule dans sa voiture. Il fait super beau, c'est le printemps et Cousine met du Led Zeppelin et ouvre les fenêtres de la voiture, ses longs cheveux flottent au vent.

Elle a laissé le beau cadeau artistiquement enveloppé sur l'étagère sous l'escalier du sous-sol. Papier rose, rubans roses, bête quand même de l'avoir oublié!

Elle débarre la porte avec sa clé pour ne pas déranger mari qui étudie, lui crie qu'elle est là, il ne répond pas. Occupons-nous d'abord du cadeau, elle allume la lumière du sous-sol et descend rapidement. Une vision d'horreur s'offre à elle. Mari est pendu. Elle a une réaction réflexe, monte les escaliers quatre à quatre, prend les ciseaux de la cuisine, descend aussi vite, coupe la corde, mari tombe avec un bruit sourd et elle appelle le 9-1-1. Elle a peur du corps de son mari et attend les secours à la porte de la maison. Ils arrivent rapidement. Manoeuvres de réanimation. Il vit, madame, il respire. L'hôpital. Elle monte dans l'ambulance, appelle les amis, il y a eu un accident, je vais à l'hôpital avec mon mari, j'enverrai quelqu'un chercher les enfants. Appelle ses parents, explique encore, ils iront chercher les petits. Son mari fait des petits bruits. Elle se tient le plus loin possible de lui. Stupeur.

Il a survécu. Légume. Il est dans un centre pour personnes handicapées. Dans un cas de suicide, réussi ou non, les assurances ne paient pas. Cousine a dû vendre sa maison, incapable de payer l'hypothèque avec son petit salaire. Elle va visiter le mari tous les dimanches avec les enfants. Depuis des années. Il ne les reconnaît pas. Elle le fait manger à la cuillère et les enfants demandent constamment quand ils vont partir. Les visites se font de plus en plus courtes. Son plus grand regret, c'est d'avoir coupé la corde.

16 commentaires:

Solange a dit...

Quelle histoire effrayante, je comprend son regret.C'est une dur épreuve.

Mamzell_McJ a dit...

j'imagine...

Grande-Dame a dit...

C'est une triste histoire.

Dans les cas de suicide, les assurances paient habituellement lorsque le contrat date de plus de deux ans.

Cet homme est désormais un fardeau pour sa famille. Je comprends les regrets de la femme.

Annette a dit...

Elle est bien triste cette histoire. Cela rappelle un peu l'histoire du suicide de Gaétan Girouard... Le Monsieur avait probablement des troubles de santé mentale : bipolaire, dépression, etc. Souvent il y a de légers signes précurseurs...

Anonyme a dit...

Je ne suis pas du genre envieuse. Suis heureuse de mon sort.

Mais il m'est arrivé quelques rare fois, d'envier certains modèles de perfection innaccessible.

Chaque fois, cela a fini en drame.

Famille parfaite, maison parfaite... les sirènes le soir, les policiers qui embarquent le père qui abusait et battait femme et fille.

Autre famille parfaite, incendie, décès de la mère.

Une amie, famille nombreuse, carrière d'ingénieure, maison à la campagne... dépression profonde, maladie mentale.

Depuis, j'ai développé une phobie de la perfection. Quand je vois des "modèles", je suis étreinte par une angoisse sourde. Je ne peux m'empêcher de me demander quel drame se cache derrière ce couple amoureux, ces enfants si bien élevés, cette maison si parfaitement décorée.

Lugubre un peu ce soir.

Michèle

Anonyme a dit...

Bonjour FemmeLibre,

Aye...Je ne sais dans quelle mesure tout cela est romancé, mais à mon sens, la fin donne un certain éclairage au drame qui s'est joué. Elle aurait également pu dire: "Mais comment a-t-il pu me faire ça à MOI!"

Lud. a dit...

J'ai eu peur...

Me voilà toute chamboulée par votre récit.

c'est quand même dommage que les règles de la société imposent cette pression invisible mais bien présente du «il faut que les visites continuent». Cela ne devrait pas être une corvée. Si cela ne fait pas l'affaire de la maman et des enfants d'y aller, ils ne devraient pas se forcer et y aller de mauvaise foi ou simplementà reculons. Malheureusement, on se fait regarder si croche (reproches silencieux ou ouverts) si on «oublie» un peu ce légume qui n'a plus rien à voir l'homme qu'on a connu... c'est triste ça. J'aurais p-e tenté de l'oublié. C'est dur de se pardonner.

En quelque part, s'il s'est tué, c'est que ce n'était pas si parfait que ça, finalement.

Faut croire que la vie n'est pas toujours rose et que je ne le réalise pas trop encore.

Une femme libre a dit...

Grande Dame, en fait, je me suis mal expliquée dans mon texte. Si le mari était mort, elle aurait pu toucher non seulement l'argent des assurances (je suppose)mais aussi l'héritage mais comme il est toujours vivant....

Dure épreuve, en effet, Solange!

Elle s'en mord les doigts, Juliette.

Oui, mais Gaëtan Girouard était bien mort, lui, ce qui permettait à la famille de retirer des assurances et d'hériter en plus de pouvoir vivre son deuil. Plus difficile de faire le deuil d'une personne toujours vivante.

Michèle, se méfier de la perfection, oui, peut-être, mais il ne faudrait tout de même pas en arriver à se méfier du bonheur. En fait, j'aurais parfois, mais de moins en moins, une certaine tendance à faire ça, à me méfier des moments de bonheur parfait, par peur de devoir les "payer". Comme toute autre peur, je la combats.

Oui, cette histoire est authentique, Pierre, à quelques détails près. Bon, je ne sais pas si c'est vraiment du Led Zeppelin qu'elle écoutait en revenant à la maison, mais elle nous a bien dit qu'elle écoutait de la musique à tue-tête. Je pense qu'elle lui en veut énormément de l'avoir laissée seule sans avertissement avec deux jeunes enfants et qu'elle s'en veut davantage encore d'avoir coupé la corde!

Lud, tut tut tut! Il y a des gens qui en ont une belle vie longue et rose. C'est possible. Rare mais possible. Il faut continuer d'y croire.

Méli a dit...

Ouf, ça donne froid dans le dos...

Annette a dit...

Femme libre,

Pourquoi s'est-il suicidé? Était-il atteint de maniac-dépression? Le thème du suicide et de la maladie mentale est extrêmement bien couvert dans le film La voyage d'une vie:

http://www.canoe.com/divertissement/cinema/nouvelles/2007/09/05/4471155-pc.html

Une femme libre a dit...

@Méli, en effet!

@Annette, on ne sait pas trop ce qu'il avait. Il n'a laissé aucun indice, aucune lettre. Il ne semblait pas dépressif, à première vue du moins. Il avait encaissé des pertes à la bourse, c'est la seule chose qui semblait clocher. À moins évidemment, qu'il se soit passé des choses que Cousine a gardées secrètes.

J'ai entendu parler en bien du film que vous mentionnez et je vais certainement le voir.

Anonyme a dit...

Ca doit être épouvantable à vivre.

Grande-Dame a dit...

Belle réflexion sur la perfection Michèle. Ça fait réfléchir.

Annette a dit...

Femme libre,

J'aimerais bien avoir vos commentaires lorsque vous aurez vu le film 'Le voyage d'une vie'

L'extrait ci-dessous peut jeter un éclairage à la détresse vécue par l'homme dans votre texte :

http://www.cyberpresse.ca/article/20070905/CPARTS01/709050498/1043/CPARTS01

Pour la femme, qu'est-il pire à trainer :

- la culpabilité si elle l'avait laissé pendu (et l'impression qu'elle aurait eu toute sa vie qu'elle aurait pu être capable de le sauver)

ou

- la visite à un légume qui un jour a été un homme qu'elle a aimé

Cela me fait penser que pour payer mes études, j'ai été préposée aux bénéficiaires sur appel dans un hôpital et j'ai ainsi fait la tournée des étages. Une semaine, j'ai été en psychiatrie, et il y avait un homme comme un enfant et qu'il fallait nourrir qui venait se faire visiter par une ravissante femme et son jeune enfant... Difficile à comprendre... Pour faire cet enfant et séduire cette jolie femme, l'homme avait dû connaître des jours meilleurs...

Anonyme a dit...

Quelle histoire. Magnifiquement racontée! La fin donne des frissons dans le dos. Avez-vous déjà penser écrire des nouvelles?

Une femme libre a dit...

Cette "histoire" est un fait réellement vécu par ma cousine, Petite Fadette. Parfois la réalité dépasse la fiction. J'aime bien l'écriture d'un blogue, basé sur des faits vécus. Si j'écrivais des nouvelles, ce serait tout probablement des nouvelles érotiques. J'affectionne le genre! ;o)

Annette, je sais bien que le mari de Cousine devait vivre de grandes souffrances pour en venir à poser un geste si extrême, mais ma sympathie va aux survivantes. Elles en ont bien besoin. Les parents de cet homme sont aussi dévastés.

Oui, épouvantable en effet, Mayieve ,mais Cousine s'en remet. On se remet de tout. Elle pense à divorcer pour ne plus être responsable financièrement de son mari tout en continuant à le visiter avec ses filles. Elle aurait un chum actuellement, ce qui lui ferait du bien.