jeudi 4 septembre 2008

L'élève

J'ai enseigné longtemps. Avec plaisir. Passion même dans les premières années. Les dix ou vingt premières années. Enseigner c'est séduire. Et pourtant, jamais je n'ai flanché et jamais je n'ai eu d'aventures avec un étudiant. Jamais, non, et j'en étais bien fière et puis il est entré dans ma classe. On s'est vus, il est venu me porter ses documents tout près de moi, sans sourire et avec ce regard pénétrant et troublant qu'il avait. Il n'a pas dit un mot, moi non plus, mais le mal était fait. Le trouble s'est glissé en moi, insidieux et prenant. Désagréable même. Je voulais enseigner, moi, tranquillement, comme avant. Et voilà qu'il était là, trop là. Il venait me voir aux pauses, il me regardait du coin de l'oeil, il me déshabillait du coin de l'oeil, attentif, il me possédait déjà et parfois un sourire de satisfaction se glissait dans son regard.

Je l'ai fait changer de classe. J'ai prétexté qu'il était trop avancé pour ma classe, ce qui n'était pas faux. Pas tout à fait faux. Mais il venait rôder encore et sa présence m'envahissait même quand il n'était pas là. Il venait me voir à toutes les pauses et après la classe aussi et à l'heure du dîner et il blaguait, en français s'il-vous-plaît, avec son délicieux accent british. Je craquais mais je résistais, évidemment que je résistais. Non seulement il était un élève de mon cofi mais en plus, j'étais en couple, moi, et heureuse en couple et fidèle, absolument fidèle.

Nos cours duraient sept mois et on arrivait au terme du stage. Il avait fait beaucoup de progrès et me demandait souvent de pouvoir me voir en privé pour pratiquer son français. Je refusais mais parfois je restais un peu plus longtemps après l'école pour lui expliquer une règle de grammaire. J'étais alors assise à mon bureau et lui debout, penché sur moi et je sentais son souffle dans mon cou. Doux moments.

La fête de fin de cours approchait. Je l'organisais et des élèves de plusieurs classes étaient mandatés pour m'aider. Il en faisait partie. Jamais je n'ai autant aimé décorer la salle que lorsque je devais lui remettre les décorations à accrocher en main propre et que nous nous frôlions, accidentellement bien sûr. Il restait une semaine de cours. Une semaine lègère pleine de sorties avec les étudiants et je me surprenais à regretter de ne pas avoir planifié de sorties communes avec la prof de la classe de mon beau Trinidadien.

C'est cette fin de semaine-là que mon chum revenait de vacances. Or, il était rentré mais j'appris le dimanche soir qu'il était avec une autre. La stupeur passée, j'ai eu envie de rire. Tout tombait pile. Que la vie était donc bonne avec moi!

10 commentaires:

Anonyme a dit...

La vie fait bien les choses ! :-)

Mamzell_McJ a dit...

c'est le scénario d'un futur film Hollywoodien ça ?????

Anonyme a dit...

C'est un exercice de justification en deux chapitres. Les fellations au copain, du pli précédent, servent de tremplin légitimant pour l'homme-triton de Trinidad...

Si vous expliquez les choses à vos enfants selon cette procédure, je les comprends de se révolter un peu de temps en temps...

Paul Laurendeau

Une femme libre a dit...

N'est-ce-pas, Cricri?

Mais non, même pas de fiction là-dedans, ma vraie vie, Juliette! Et c'est pas fini.

L'homme triton de Trinidad? I beg your pardon, Paul?

Anonyme a dit...

Triton, fils de Poséidon. Triton, l'homme sirène. Il avait le don de calmer les tempêtes marines en les forçant à passer de la surface aux profondeurs. Pas de tempête en surface mais des grondements puissants dans les abysses. Et si Triton part, la tempête revient aussi sec.

Vous jouez le rôle de la mer dans cette analogie mythologique qui a raté sa cible… Excusez-en la lourdeur.

Paul Laurendeau

Anonyme a dit...

Bonjour FemmeLibre,

Je trouve assez admirable que vous ayiez fait des démarches pour l'éloigner de vous, malgré le plaisir que vous procurait sa présence.

Karla a dit...

Dans ce cas, il faut prendre ce desir et le transposer sur son copain!!!
Bah!!! Qui je suis pour juger!!! :-)
Moi ce qui m'intéresse est la suite! On ne sait pas comme ca fini cette histoire-là!!!

Anonyme a dit...

Eh bien, je vous comprends tout à fait, travaillant avec des adultes. Ce n'est pas parce qu'on est prof qu'on est en bois ! Je me rappelle avoir lu un livre (21 tableaux et quelques craies) d'un prof de cégep qui se donnait le droit de tomber amoureux une fois par session.

Bon d'accord, c'est pas exactement le même type de passion vécue ici :)

Mais se laisser emporter dans notre tête (ou nos souvenirs ;) ) - c'est bon pour l'âme sauvage.

Une femme libre a dit...

Bien sûr que je voulais l'éloigner de moi, Pierre. Pas éthique de mélanger enseignement et désir amoureux.

Oui, Karla, vous avez bien raison, quand on en désire un autre, il faut fantasmer sur l'autre pendant qu'on fait l'amour avec son conjoint. Ça ne fait de mal à personne et c'est notre mari qui profite de notre excès de passion.

Au cegep, c'est autre chose. Les jeunes ont dix-sept ou dix-huit ans. Ce sont encore des enfants. Rappelez-vous du vieux professeur libidineux du film Borderline. Pas joli joli. Moi, j'enseignais dans les défunts cofis et nos étudiants étaient vraiment adultes, de tout âge. Parfois fort scolarisés ou pas du tout. On les initiait à la langue française et à la vie québécoise. L'élève en question avait le même âge que moi.

Une femme libre a dit...

Je joue le rôle de la mer, c'est mieux que celui de la mère, certainement, Paul.