dimanche 21 décembre 2008

Lesly

Il y a dix-huit ans j'ai vu une annonce dans le journal. On cherchait des familles pour des jeunes réfugiés non-accompagnés. Des mineurs qui arrivaient ici seuls et que la direction de la protection de la jeunesse devait prendre en charge vu qu'ils n'avaient pas dix-huit ans. Ils venaient principalement d'Afrique, étaient adolescents et il s'agissait surtout de garçons. Je téléphone. On me dit qu'ils sont autonomes en général mais qu'il faut les initier à l'utilisation des appareils ménagers. Le besoin est grand et pressant. J'ai une grande maison, au départ, j'y vivais avec mon chum, mon fils et les deux enfants de mon chum. Là, j'y vis seule avec mon fils de dix ans qui est en garde partagée une semaine chez papa, une semaine chez moi. Il y a au moins une chambre de libre. Je travaille à plein temps et plus, ce qui n'est pas un problème avec des adolescents autonomes.

Dès que je me dis intéressée, les choses se précipitent. C'est que les centres jeunesse sont vraiment débordés avec ces jeunes réfugiés qu'ils ne savent plus trop où placer. Pas délinquants les jeunes et tout élevés, et avec une famille en Afrique, ils ont surtout besoin d'un toit et ça presse. Je suis très rapidement rencontrée, acceptée et on me fait immédiatement une proposition qui pourrait rentrer chez moi... le lendemain! Oups!

Il ne s'agit pas d'un jeune Africain mais plutôt d'une jeune fille du Nicaragua de quinze ans. Sa mère réfugiée est ici depuis deux ans et la jeune est arrivée il y a six mois. C'est une de ses professeures qui a appelé la DPJ. La jeune habite d'ailleurs chez elle pour le moment, en dépannage d'urgence. La mère de la jeune fille ne la connaît à peu près pas, car elle a quitté le Nicaragua depuis plusieurs années, la confiant à ses grands-parents, qui eux l'ont confié à un oncle qui lui l'a confiée à un cousin. Elle a ainsi fait le tour de la famille là-bas, dans des conditions misérables et sans aller à l'école. Depuis son arrivée en terre québécoise, elle sert de gardienne et de ménagère pour la famille, manque donc souvent l'école et voilà qu'elle a confié à sa professeure être également abusée par le beau-père, d'où le signalement et la protection d'urgence.

Elle arrive rapidement chez nous et je suis ravie de pouvoir pratiquer mon espagnol. Nous nous entendons comme larron en foire, elle est charmante, facile et me fait mon ménage le samedi quand je travaille sans que je ne le lui demande! Je l'emmène partout chez tous mes amis et ma famille et tout le monde l'adore. Il y a bien des petits pépins, comme un jeune homme pas si jeune que ça qui fait un genre de harcèlement, je lui dis que s'il revient, on appelle la police. Il ne revient plus et elle me dit qu'il la laisse tranquille. Parfois, je l'entends pleurer, c'est toujours quand elle parle à sa mère. Je demande à ce qu'elle ait de l'aide psychologique pour ses problèmes, ça semble bien compliqué.

Dans ce temps-là, je suis toujours à court d'argent. Il m'en manque. Ça commence à m'inquiéter. Je suis du genre à en sortir quand il n'y en a plus, sans trop compter, mais là, il me semble que je passe mon temps à retirer de l'argent. Je décide de tenir un compte plus serré, d'écrire ce que je retire et mes dépenses aussi. Un samedi,après mon travail, je retire trois cents dollars, j'ai une grosse épicerie à faire et des sorties en vue. Je laisse mon sac sur mon bureau de chambre, comme je le fais toujours. Quand je fais mon épicerie, il n'y a plus que quarante dollars dans mon sac à main! Je refais le chemin en regardant soigneusement sur le sol au cas où j'aurais échappé l'argent, deux cent soixante dollars, ça ne disparaît pas comme ça! Je cherche partout et puis là, je vais dans la chambre de Lesly. En ouvrant le troisième livre de sa bibliothèque, je trouve les deux cent soixante dollars à la sixième page. Je fouille ses tiroirs, mes carnets de chèque sont là, mon napperon en dentelle, celui que je cherchais justement, des bibelots pourtant sans valeur sont cachés parmi ses petites culottes. En fait, les objets de ses larcins sont facilement accessibles, à peine cachés. Je trouve plein de petits objets qui m'appartiennent, partout. Quand elle rentre, je la confronte, elle pleure, ne nie pas. J'appelle la travailleuse sociale. Je veux qu'elle parte. Je n'ai plus confiance. En plus, je ne suis pas souvent là, je travaille beaucoup et même le samedi. Je me sens flouée. Une semaine plus tard, on lui trouve une place dans un centre d'accueil.

Le pire, c'est qu'elle avait probablement volé aussi chez mes amis et ma famille. Une amie qui avait une maison de campagne où nous avions passé quelques jours dans le temps des Fêtes m'avait appelée avant que je ne découvre que Lesly me volait pour me dire qu'elle s'était fait dérober des bijoux de prix. Son accueil avait été très chaleureux pour Lesly et elle lui avait fait plein de cadeaux. Je me rappelle fort bien avoir défendu Lesly, très fâchée qu'elle puisse l'accuser. Elle avait immédiatement reculé en disant que oui, évidemment, ça pouvait être n'importe qui et qu'elle avait eu beaucoup de visite. Je n'ai jamais osé lui dire la raison du départ de Lesly, je ne l'ai dit à personne d'ailleurs. J'ai dit que le placement se terminait parce qu'elle retournait dans sa famille.

14 commentaires:

Lud. a dit...

J'aimerais bien que notre grande maison serve aussi de foyer d'accueil pour 2 ou 3 jeunes. Ma mère n'est pas convaincue, parce qu'à chaque fois que nous avons ouverts les bras (et la porte de notre maison) pour accueillir et aider des gens, ils nous ont tous, invariablement, deçus... un peu comme Lesly vous a deçue. J'espère que vous allez nous raconter des expériences plus positives de cette étape de votre vie, afin que je puisse en apprendre davantage.

Josie a dit...

Ouf! Un secret qui doit faire du bien à libérer...

Mais tu n'as pas à avoir honte d'avoir fait confiance, Femme Libre :)
Même si parfois, il y a des conséquences fâcheuses, la confiance est l'un des plus beaux sentiments! Ne le perd pas!

Anonyme a dit...

C'est vrai qu'il n'y a aucune honte à avoir fait confiance.

SaintePaix a dit...

Elle avait vraiment besoin d'aide cette jeune fille. Ne même pas cacher ses larcins, c'est justement une demande d'aide, d'attention. En même temps, c'est pour se confirmer qu'elle ne mérite que le rejet, partout et toujours. C'est ce qu'elle a toujours vécu. Elle répète le processus. C'est très compliqué a défaire. Je n'aurai pas pu endurer ça non plus. Ça prend une sainte femme et je n'en suis pas une. J'aimerais bien vivre l'expérience d'accueillir un de ces jeunes mais j'ai peur... Je suis seule maintenant...
SaintePaix ;-)

Une femme libre a dit...

Sainte Paix, vous avez tout à fait la bonne explication! C'est tout à fait ça, une demande d'aide. Aujourd'hui,avec mon expérience, je verrais les choses différemment et le placement ne se terminerait probablement pas. Après tout, j'ai été volée par une de mes filles et on a essayé de régler la situation le mieux possible. L'idée de rejeter mon enfant parce qu'elle avait un problème de comportement ne m'est évidemment pas passée par la tête. Mais là, je n'étais pas préparée du tout, du tout! Et en plus, j'avais tout mis en place,par ignorance et inadvertance, pour qu'elle me vole. Mon argent bien accessible et en quantité, le fait qu'elle passe le samedi et des soirées seule à la maison.

Chaque histoire est différente et chaque jeune aussi, Lud. C'est certain que s'il y a des risques à accueillir des gens chez soi, il y a de belles histoires aussi.

C'est vrai que la confiance réciproque est une belle chose, Josie. Et on peut encore gagner la mienne. ;o)

Anonyme a dit...

Et moi qui embarque justement dans ce processus ... Je garde confiance mais j'ai les antennes partout en éveil. Mensonges et vols font parfois partie de la survie... Le point positif, elle veut une famille et sait que le comportement n'est pas acceptable. Il s'agit maintenant de faire passer cette "mauvaise habitude" de chaparder ce qui traine autour ... Reveuse

P.S. Joyeux Noel !

Une femme libre a dit...

Le fait d'avoir les antennes en éveil peut faire une énorme différence, Rêveuse! Joyeux Noël à vous aussi!

Une femme libre a dit...

Oups, Cricri, je viens de voir votre commentaire. Pas honte d'avoir fait confiance, mais légèrement honte de m'être fait avoir!

Anonyme a dit...

Wow, c'est toute une histoire...

Vous n'avez jamais su pourquoi elle volait?

Solange a dit...

C'était probablement un problème d'insécurité qui la faisait voler. Mais quand la confiance n'y est plus c'est difficile.

Pur bonheur a dit...

Ça me fait penser au récit de Lucie Pagé 'Mon afrique'. Elle avait à son service une nounou qu'elle considérait comme sa mère et qu'elle traitait comme un membre de la famille. Sauf quel quelques années plus tard, elle s'est aussi rendue compte que celle-ci la volait en plus de l'espionner pour le gouvernement. C'est doublement triste quand une personne qu'on aime abuse de notre confiance.
Mais j'aimerais rajouter que ces peuples n'ont pas la même mentalité que nous, nord-américains vivant dans l'abondance.

Une femme libre a dit...

Je pense que Sainte Paix et Solange ont mis le doigt sur le ou les bobos, Mayieve.

C'est ça, je n'avais plus confiance du tout et je n'osais même plus la laisser seule à la maison. Ce n'était plus vivable,Solange.

Je l'aimais beaucoup en effet, Pur Bonheur et je pensais qu'elle m'aimait aussi. Elle était si gentille...

unautreprof a dit...

Les mécanismes de survie ne sont pas très logiques et lorsqu,on a une sévère carence affective, la confiance prend le bord.
Cette jeune fille devait en effet vous aimer bien.

C'est une histoire bien triste.

Une femme libre a dit...

À cette époque, je ne connaissais ni les carences affectives ni les troubles de l'attachement. Je pensais que l'amour pouvait tout, Unautreprof. Ça m'aura pris bien du temps et des expériences négatives et des lectures et des cours, pour enfin comprendre que ce n'était pas le cas.