lundi 2 août 2010

Un souper

L nous avait invités, les quatre vieux copains, pour un petit souper concocté de ses mains. Intérieur harmonieux sur le Plateau, elle venait de se faire voler pour la deuxième fois en un an. Elle était même présente quand c'était arrivé! À jaser dans la cuisine, pendant que le voleur qui avait défoncé la moustiquaire, s'affairait dans son salon! On parlait criminalité, rage et barres de fer aux fenêtres qui seraient installées dès le lundi suivant. Quatre quinquagénaires, un sexagénaire et du vin et du pot à profusion aussi. Moi, je passais le joint sans le fumer. Même dans le vin, j'étais relativement raisonnable et je contrôlais mon ivresse, je fleurtais avec sans me jeter dedans. On discutait politique et immigration, santé aussi, l'un d'entre nous, le plus jeune, ayant subi un acv et s'en étant sorti assez bien, avec un pacemaker et un bizarre accent allemand qui lui allait plutôt bien. Il était une époque où j'aurais eu des pensées perverses envers les trois hommes présents, où j'en aurais choisi un et me serais arrangée pour que mes fantasmes se réalisent. Plus maintenant. J'en étais vaguement surprise. Les mâles étaient pourtant bien conservés et le sexagénaire, qui avait déjà été mon amant, me démontrait beaucoup d'attention. En fait, c'était pour me voir et pour voir L aussi évidemment, qu'il était venu de Toronto. Sa femme et ses enfants étaient en Europe. Entre les deux autres hommes et moi, c'était agréable mais le courant ne passait pas. L'un d'eux était l'ami platonique de L depuis trente ans, peut-être plus. Ils avaient déjà été un couple standard, s'étaient séparés et habitaient tout près l'un de l'autre depuis tout ce temps, en se voyant plusieurs fois par semaine. Si elle avait déjà eu certaines aventures, lui, non. Il était pourtant bel homme. Étrange. Ils partageaient une affection et une complicité qui était belle à voir, libre, dégagée, l'un finissant les phrases de l'autre. Fluide. Incroyable qu'ils ne baisent pas, pensais-je! Et si c'était justement parce qu'ils ne baisent pas, parce qu'aucun jeu, aucune entrave ne vient briser la communion et les rires et le joint qui va de l'un à l'autre et cette façon qu'elle avait de lui servir son assiette, comme si tout allait s'arrêter, comme s'ils étaient seuls, comme si c'était la chose la plus importante au monde, comme s'il allait la repousser son assiette pour la prendre dans ses bras, elle, en silence, avec un soupir, comme si elle était la personne la plus précieuse de sa vie. Elle était la personne la plus précieuse de sa vie. Et pourtant, ils ne baisaient pas, ils ne baisaient plus depuis trente ans. J'avais peine à y croire. Mes relations aux autres sont très sexuées. J'ai l'impression que c'est en train de changer. Je suis déstabilisée.

11 commentaires:

Chantalou a dit...

Et bien il faut croire que le courant peut passer sans faire de flammèche lol! Ce couple se comprend, s'entend bien mais ... rien de plus...!! Des fois c'est beaucoup plus simple de fonctionner comme cela, n'est-ce pas?? Chantalou xx

Anonyme a dit...

Très beau texte....Questionnement très intéressant...
À réfléchir :-)

Danielle

Grande-Dame a dit...

J'ai cette vision, Femme Libre, très sexuée de toutes relations.

L'absence de sexe lorsqu'il y a tant de complicité, d'atomes crochus, je ne la comprends tout simplement pas.

Une femme libre a dit...

Je suis comme Grande Dame, Chantalou, je ne comprends pas l'absence de sexe chez un couple qui s'aime. Je ne comprends pas mais j'accepte de plus en plus que la sexualité ne soit pas importante pour des gens. C'est finalement le cas de plusieurs personnes. Avant, je ne voulais pas le voir. Je trouvais ça freak, anormal. Maintenant, je nuance davantage. Je le vois bien qu'on n'en meurt pas de ne pas avoir de relations sexuelles avec une autre personne, que la situation soit temporaire ou permanente. Et certains n'en souffrent même pas. Mais je n'arrive pas à m'associer à ce mouvement de la virginité retrouvée. Je serais même un peu portée à paniquer et puis, je me calme, je vais faire de l'aérobie, de la musculation ou du yoga. Un jour à la fois.

Merci Danielle!

Grande Dame, les grands mystères de la nature humaine!!

herbert a dit...

Bonjour, Femme libre.
Eh! oui, tout change.
Il va falloir s'y faire...
Bonne journée.
Je t'embrasse.

Une femme libre a dit...

@Herbert
Héhé, mais changeons-nous vraiment avec le temps? Ne sommes-nous pas toujours ce petit garçon et cette petite fille qui ne veulent qu'être heureux?

Anonyme a dit...

Peut-être que leur complicité ne s’est jamais rendue jusqu’à la chambre à coucher. Ce sont des choses qui arrivent. Bien faire l’humour ensemble n’est pas garant de bien faire l’amour ensemble. Peut-être aussi que leur couple atypique traversera mieux le temps en s’étant libéré des splendeurs et misères de la vie conjugale : pas de jalousie intempestive, plus d’inquiétude à avoir face aux petites ridules et aux poignées d’amour qui traumatisent toute femme de plus de 50 ans possédant un miroir, plus d’angoisse face à la compétitivité sexuelle malgré que le tic-tac de l’horloge biologique soit moins vigoureux. Sans doute qu’il manque quelque chose à leur relation. Mais à vous lire, on peut se demander s’il n’est pas plus facile de vivre la tendresse et la complicité sans le cul que de vivre le cul sans la tendresse et la complicité. Quitte à choisir entre les deux options, bien sûr!!!!

Femme libre, je crois que le désintérêt de la chose sexuelle devient, dans certains cas, une nécessité à laquelle on adhère délibérément pour s’éviter biens des maux. Les personnes solitaires (et même celles qui ne le sont pas…) ne veulent pas nécessairement traîner leurs envies inassouvies en bandoulière, elles finissent par se convaincre (ou, on finit par les convaincre…) que leur potentiel de séduction est largement contrebalancé par leur âge canonique, la peur de ne plus plaire les tenaille, la peur du rejet aussi face à la compétition que représentent les trentenaires siliconées, la peur de se couvrir de ridicule ou de se rendre pitoyable… Tout un cocktail désespérant et désespéré qui fait que l’on préfère déclarer se désintéresser de ce que l’on craint de ne plus pouvoir jamais atteindre. Sauf que…

La gaffeuse

Solange a dit...

Moi je comperend qu'il puisse y avoir de l'amour sans sexe, il y a bien du sexe sans amour.

Une femme libre a dit...

La Gaffeuse, comme c'est bien dit. J'adhère au deuxième paragraphe. Sous les dires d'une personne qui prétend ne plus avoir besoin de sexualité, il y a peut-être tout ce que vous énumérez qui s'y cache. Mais peut-être pas non plus. Après tout, j'ai des amis en couple, (pas L, d'autres) qui disent ne plus avoir le goût et pourtant le conjoint est là, dans leur lit tous les soirs, disponible. En fait, il y en a une qui ne comprend pas pour vrai que ça puisse me manquer! Je vous assure.

"la peur de se couvrir de ridicule ou de se rendre pitoyable",misère! qui voudrait attirer le ridicule et la pitié? Et des fois, je me dis, et puis après? On s'en fout, je m'en fous. Qui ne risque rien n'a rien. Vaut mieux un peu de ridicule que pas d'amour du tout. Merde! Il faut prendre des risques dans la vie. Tiens! Je sens mon énergie me revenir et c'est à cause de vous. Merci!

Solange, vous avez, encore une fois, totalement raison. Grande sage! ;o)

Pur bonheur a dit...

J'ai entendu un jour Michel Tremblay dire que c'était fini pour lui la sexualité. Qu'il ne voulait pas imposer son corps vieillit à qui que ce soit.
Je l'ai trouvé dur envers lui-même.
J'ai moi aussi de la difficulté à comprendre ceux qui renonce volontairement au sexe. Pour ma part, je ne saurais m'en passer et j'ai l'amant sur mesure dans mon lit tous les soirs. Et je sais que c'est précieux. J'aurais du mal à me 'matcher' avec un autre.

Une femme libre a dit...

J'avais aussi été attristée par cette déclaration de Michel Tremblay. Il venait de vivre un cancer quand il a dit ça. J'ose penser qu'il ait pu changer d'idée par la suite. C'est bien d'avoir un homme dans son lit et c'est surtout bien de l'apprécier, Pur Bonheur. Il y a trop de couples qui prennent l'autre pour acquis.