jeudi 20 juin 2013

Mélissa

Elle est à Manille avec toute sa famille pour l'adoption de leur nouvelle petite fille. C'est beau à lire. Très touchant. Bien écrit. On s'y croirait avec elle. Bien partie cette adoption. Aucun signe de trouble de l'attachement. La petite a été bien préparée. Les parents ne s'attendent pas à des miracles et à des sourires perpétuels. Quand ils voient que la petite est désemparée par les sorties, ils les diminuent. Du tourisme, ils en feront une autre fois. La petite cherche le contact physique.

Ma fille à moi, celle qui a une maladie mentale aujourd'hui (deux, avec le nouveau diagnostic de schyzophrénie), celle qui a des troubles graves de l'attachement, ma fille refusait tout contact physique de ma part. Avec les étrangers, elle était extrêmement affectueuse. Elle avait quatre ans et demi et voyait à tous ses besoins, toilette, habillement et nourriture. Elle m'évitait et s'accrochait à tout le monde sauf moi. En fait, on pouvait croire que je la maltraitais car elle semblait avoir peur de moi (devant les autres, pas en privé). Même mon père, mon père à moi, qu'elle bécotait et auquel elle s'accrochait, a eu des doutes. Quand j'ai insisté pour la toucher, la prendre, la materner, elle a rapidement trouvé la façon de m'éloigner: faire pipi. Après que le divan ait été aspergé, je me suis en effet tenue plus loin.

Aucune régression.

Des colères extraordinaires et extrêmement longues. Épeurantes un peu. Pas des colères d'enfant qui font rire. Non. Une rage profonde et exacerbée. Déclenchées par rien du tout.

Se détacher et se mettre toute nue dans la voiture en hiver en hurlant parce qu'elle veut une orange et que j'ai apporté des pommes. Je m'en vais au travail et je suis en route vers la garderie. Sa jeune soeur (celle qui a un enfant aujourd'hui) est là à côté dans son banc d'auto et assiste à la scène. Elle n'a pas eu une enfance facile elle non plus à cause des graves problèmes de sa soeur. Et ces sessions de je crie et je me mets toute nue étaient fréquentes.

Deux heures à deux heures et demi de cris et de pleurs avant de s'endormir le soir, tous les soirs, toutes lumières allumées (peur panique du noir), pendant au moins six mois. Et aucun moyen de l'approcher, ne l'oublions pas. Je couchais sa soeur qui avait besoin de sommeil dans mon lit et la  portais dans son lit une fois la plus grande endormie.

Elle a passé le premier été pieds nus. Impossible de lui faire mettre des sandales ou des souliers, impossible de lui donner la main sous peine de crise majeure. Je le faisais pour traverser les rues malgré les hurlements. J'étais en liste d'attente partout pour avoir de l'aide. Heureusement ou malheureusement, dans ces cas-là, quand on raconte son désarroi, apparaissent tout à coup plein de parents dont on avait jamais entendu parler dans la mer de joies et de fleurs de l'adoption, des parents qui en arrachent comme nous et qui nous conseillent adéquatement.  J'appelais une maman adoptante de Québec à mes frais, un docteur qui en avait bavé et en bavait encore avec son garçon adopté. Elle ne veut pas mettre de souliers? Laisse-la faire. Elle ne veut pas donner la main? Laisse-la faire aussi. Elle ne va pas te perdre, c'est une enfant intelligente. C'était vrai. Elle nous suivait de loin dans les centres d'achats, pieds nus, et ne nous a jamais perdus, son frère, sa soeur et moi.

Je pourrais donner des pages d'exemples comme ça, en écrire un livre, Ysengrimus me l'a d'ailleurs demandé.

L'adoption de Phybie présentera des défis, car la vie en présente, mais pour l'instant, ça augure bien. Et comme ses parents sont réalistes et bien préparés, ils feront face aux défis.

J'étais beaucoup moins bien préparée qu'eux. D'abord, il y a avait cette impression généralisée que l'adoption ne peut qu'apporter un immense bonheur. Aucune mise en garde de personne. Un jardin de roses et l'amour et le temps viennent à bout de tout, voilà le message que j'avais reçu. Pas vrai. Et ensuite, ma première adoption en avait été un, jardin de roses! La petite était malade mais la médecine et mes bons soins et mon amour lui avaient fait recouvrer la santé. Valorisant!

Alors je ne m'attendais pas du tout au drame de ma deuxième adoption.

5 commentaires:

Solange a dit...

Et après avoir eu autant de misère vous en avez adoptée une troisième, chapeau!

Nanou La Terre a dit...

Effectivement, chapeau!Extrêmement perturbant tout ça... Pauvre petite et pauvre toi... Est-ce qu'elle se rappelle de tout ça ta fille?

Une femme libre a dit...

@Solange,
Oui, j'en ai adopté une autre mais j'ai attendu trois ans.

@Nanou la Terre,
Je ne sais pas. On n'en parle pas souvent. Faudrait que je lui demande.

Mélanie a dit...

haaaa! je lis ce message et mon coeur de maman se serre ... ça a dû être terriblement difficile au moral, au psychologique et émotif de ne pas pouvoir l'approcher ouff! C'est tellement pas ça que tu te fais comme image quand tu te vois maman ... Ma dire comme les Jamaïcains "Respect" ... je te lève mon chapeau de maman avec tout le respect qu'il se doit ..

Une femme libre a dit...

Et c'est tellement pas ça que tu imagines quand tu adoptes un enfant. Surtout avec tous ces sites de parents adoptants heureux et épanouis avec leurs enfants adoptés tout aussi heureux et épanouis! Ceux qui ont du trouble se taisent et c'est dommage parce que ça laisse croire aux futurs parents adoptants qu'ils s'engagent dans la voix du bonheur une fois l'enfant arrivé. Attente difficile mais bonheur garanti ensuite. Erreur! Erreur! Faut le dire, le crier haut et fort que ça ne se passe pas nécessairement comme ça. Les parents s'inquiètent de la santé physique de l'enfant adopté, mais sa santé mentale, non, pas du tout. Alors qu'adopter un enfant avec un trouble grave de l'attachement c'est se retrouver avec un enfant gravement hypothéqué et pour le reste de sa vie. Même chose avec un enfant qui souffre du syndrôme d'alcoolisation foetale. L'amour ne peut pas tout!